Si quelques familles s´en sont bien tirées en pratiquant soit le commerce, soit en s´adaptant aux seigneurs ou aux administrations qui se sont succédé sur ce sol ingrat qui ne pouvait nourrir une population de plus en plus nombreuse, certains s´échinaient à gratter la terre des autres et à essayer de survivre en exploitant quelques oliviers ou quelques figuiers. Les troupeaux étaient peu nombreux: beaucoup de caprins, des moutons et des bovins qui servaient aussi bien aux labours que pour alimenter une fois par an la grande fête de Timechrat où le pauvre, comme le riche pouvaient goûter à cette denrée rare. Les plus aisés ne mangeaient de la viande qu´une fois par semaine (le vendredi) et le sacrifice d´une poule n´était possible que pour conjurer le mauvais oeil. On ne donnait l´oeuf qu´au malade ou à la femme qui accouchait. Il faut dire qu´à la fin du XXe, qui avait vu l´arrivée des Français, les ressources étaient rares. D´autres exerçaient une activité artisanale qui leur permettait de vivoter un petit peu. Outre les maçons, qui ont été toujours nom-breux, car il était facile d´apprendre le métier chez un vieux maître qui a travaillé déjà à Alger où des palais ont été construits grâce à la sueur des terrassiers d´ici, la grande spécialité du village était la sculpture sur bois: jusqu´à la veille de la guerre de Libération, il y avait au moins quatre maîtres artisans qui fabriquaient des coffres en noyer pour mariées fortunées, des coffrets à bijoux magnifiquement sculptés qui ont fait la renommée de villages et autres tables basses qui s´exportaient vers la grande ville où les gens avaient adopté les costumes et la manière de vivre des occupants. Il y avait bien un ou deux tailleurs pour faire les larges gandouras en toile, mais la plupart des foyers possédaient un métier à tisser sur lequel une vieille grand-mère apprenait à ses petites-filles l´art de tisser des burnous et des couvertures. Il n´était pas rare de voir ces femmes industrieuses battre leur laine au lavoir du village, ou, assises en tailleur, faire tourner une quenouille sur le seuil de leur maison par un après-midi d´été. Contrairement à l´idée largement répandue qui donne la robe à manches, outrageusement colorée, comme robe kabyle, le vêtement de nos grands-mères consistait en de larges pans de tissu ou de laine tenus au-dessus des épaules par des fibules en argent ou en fer blanc. Les robes bigarrées qui ornent actuellement les boutiques d´objets artisanaux sont en fait, d´origine indienne, importées par les missionnaires protestants qui en ont habillé les femmes malgaches et nord-africaines, car ces robes, en plus d´être plus pratiques pour la femme qui travaille aux champs, protègent mieux le corps féminin des regards indécents. Quant aux femmes des riches familles, elles s´habillaient à la turque et prenaient le voile. Il y avait au moins, un forgeron au village. Il y avait des périodes où il y en eut trois: il était facile de construire soit un atelier en pisé, soit une hutte en branchages et d´y installer un soufflet: pendant près de deux siècles, c´est la même famille qui eut à fournir les forgerons. C´était un monopole qui n´était inscrit nulle part. C´est pendant le triste règne des Aït-Kaci, que le besoin d´un forgeron au village se fit sentir. Ils prospectèrent toute la région et en trouvèrent un de disponible du côté de Tigzirt. Prudent, il vint s´installer tout seul au village, laissant femme et enfants chez les Iflissen. Une fois la confiance établie, il les ramena et fonda la famille la plus nombreuse du village.