La faible production de céréales résulte des mauvaises pratiques culturales. Ce n'est pas seulement les conditions naturelles et en particulier les conditions climatiques qui limitent les productions du sol dans la wilaya des Aurès, mais il y a à dénoncer d'autres pratiques anthropiques sévères qui pouvaient compromettre l'entreprise. Mauvaises pratiques culturales (culture non savante), surexploitation, et surpâturage sont en train de conduire les terres de la wilaya des Aurès à la désertification. L'impact de cette dégradation sur la production alimentaire sera critique dans les années à venir et risque de l'affecter pour de bon. L'Expression tente d'alerter les pouvoirs publics sur ces drames silencieux qui, à l'image du climat, agissent comme une bombe à retardement et risquent de grever d'hypothèques l'avenir de la culture dans les Aurès, spécialement les céréalicultures d'une manière irréversible. La faible production des céréales enregistrée cette année ne résulte pas de la pluviosité, mais plutôt des mauvaises pratiques culturales. Interrogé par L'Expression pour donner son avis sur le sujet, un technicien de la direction des services agricoles de la wilaya de Batna explique: «Une bonne production des céréales résulte de la combinaison de trois facteurs: les ressources naturelles, le capital et le travail. Cette année, les deux premiers facteurs étaient réunis, surtout le premier avec une pluviosité très abondante (plus de 420 mm) et bien répartie sur les périodes de germination et la croissance des céréalicultures, mais malheureusement ce qui a manqué c'est le dépôt des semences dans le sol un peu tardivement à cause des pluies abondantes qui se sont abattues sur les terres de la wilaya et qui n'ont pas permis aux agriculteurs de procéder aux labours-semailles dans les temps impartis...». Sur ce point, la plupart des techniciens agricoles et agriculteurs de la wilaya de Batna interrogés s'accordent mais ils lèvent un autre lièvre, qui est celui des mauvaises pratiques culturales. «La plupart des agriculteurs n'ont semé qu'une fois la période des semences passée (...)». Cela explique cette production en céréaliculture très maigre. Ajoutons à cela l'absence du recours aux engrais et aux techniques modernes. La plupart des agriculteurs sont limités dans leur savoir. Ils sont traditionnels. Les productions agropastorales sont de moins en moins adaptées aux ressources végétales et hydriques. Le mal ne se limite pas uniquement aux mauvaises techniques d'ensemencement et de labourage, mais aussi à une autre inhabilité, commise d'une manière répétée, qui est cette surexploitation excessive des terres fertiles. «Les terres ne sont pas laissées en jachère pour permettre la reconstitution des réserves en eau et en azote et stimuler l'activité biologique du sol. Les agronomes préconisent de plus en plus souvent des rotations de cultures et des périodes de jachère», nous fait remarquer le même technicien agricole. Malheureusement ces conseils, comme nous dit notre interlocuteur, sont rarement suivis. Les terres fertiles sont exploitées d'une manière excessive. Leurs exploitants ne les laissent pas se reposer. «La terre est fatiguée d'avoir trop abusé d'elle et elle ne peut maintenant plus produire. Elle est devenue stérile», fait entendre B. Youcef, un vieux fellah en retraite. Le tableau décrit est alarmant et apocalyptique. Qu'il soit fellah, ou qu'il soit technicien agricole, tous témoignent qu'une surexploitation est exercée par ignorance ou par cupidité. Les terres sont mal travaillées et même dégradées. Les conséquences de cette surexploitation ne tarderont pas à se faire sentir. «Dans les régions fragiles, toute erreur de culture se paie au prix fort. Quelques entailles de trop et les sols deviennent infertiles», avertissent les agronomes et pédologues. Mais le grand danger menaçant les terres fertiles vient de ce surpâturage excessif auquel nous assistons chaque année. Cette transhumance ou ce mouvement saisonnier de moutons qui vient du Sud constitue un véritable danger pour les terres fertiles. Des milliers de moutons déversés des camions de bétail et ajoutés aux quelques grands troupeaux reconstitués ces dernières années forment ensemble une surpopulation de bétail et une véritable menace pour les terres. Ces milliers de moutons, de véritables tondeuses dans leurs déplacements, multiplient les dégradations des sols fertiles. Ils sont vite synonymes de désertification ou dégénération de l'état des sols fertiles et cette situation conduit inéluctablement à un appauvrissement du sol, à la destruction de sa structure, à une multiplication des parasites. La plupart des agriculteurs et des propriétaires de champs sont conscients du mal, mais justifient leurs actes par: «l'année est mauvaise. Je suis contraint d'agir ainsi pour rembourser les pertes». «En ignorant que les sols fertiles sont une ressource rare, qui se dégrade vite et se renouvelle très lentement, comme le résume un pédologue», ils sont en train de courir à leur perte. «La terre est vitale pour l'homme, et pourtant, peu en ont conscience. L'humanité est la pire ennemie de son propre sol. Quand le sol est perdu, rien ne sert de l'enrichir d'engrais, de l'irriguer, de tenter d'y faire pousser des plantes génétiquement modifiées», prévient un autre technicien agricole. Pour préserver ces sols, ici dans les Aurès, il faudrait deux à trois fois moins d'animaux à l'hectare. Il faut aussi réduire la charge du bétail pour permettre aux sols surpâturés de se régénérer.