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Rendre à César...
Publié dans L'Expression le 15 - 11 - 2010

Les choses apprises par recoupements sont beaucoup plus intéressantes que les leçons bien apprises: elles poussent l´individu à enquêter de lui-même pour peu qu´il soit motivé, à développer son esprit de synthèse et à le rendre plus perspicace.
L´élection du caïd de Thadarth m´a été rapportée par plusieurs canaux, par ma grand-mère maternelle et par ma mère qui, bien qu´analphabète bilingue, n´en fut pas moins une auditrice assidue des récitals de poèmes kabyles par la fille d´un de nos poètes locaux. Car, à l´époque, la modeste communauté comptait au moins deux poètes reconnus, contemporains de Si Mohand Ou M´hend.
Comme beaucoup de poèmes adoptaient la célèbre forme popularisée par Si Mohand, il est parfaitement crédible, dans une société orale, que les vers des uns soient abusivement attribués, à tort, au plus célèbre d´entre eux, notre Rimbaud, notre Baudelaire du XIXe siècle. Ce qui m´a paru le plus curieux, ce sont les circonstances qui m´ont poussé à m´intéresser à des choses que j´écoutais, ou plutôt que j´entendais dans mon enfance sans que je ne leur accorde la moindre importance, parce que, à l´époque, la culture locale était aussi dévaluée que notre actuelle monnaie, tout comme le travail fourni par l´éternel indigène.
J´avais enregistré le nom du poète, un Hadj qui avait fait à pied le pèlerinage à La Mecque: cela lui prit deux ans et durant tout ce temps, il avait dû réfléchir au caractère éphémère des choses d´ici-bas. C´est pourquoi j´ai toutes les raisons de penser que le célèbre poème de Si Mohand qui fait allusion au passage des pouvoirs en citant dans le premier vers le prénom de notre premier caïd, et de le prévenir du destin funeste qui attend tous les pouvoirs injustes, ne pouvait être que l´oeuvre de Hadj qui était son voisin le plus proche. Il avait plus de chances de connaître la famille du caïd que celui qui avait passé sa jeunesse sur toutes les routes du pays et qui serait allé même jusqu´à Tunis, pour parasiter un peu son frère...C´est ce même poète, auteur de plusieurs épîtres ou suppliques adressées au préfet de l´époque, qui introduisit le terme «loussi» (l´huissier) dans le parler commun tout comme il se désolait du danger que courait la culture locale quand les gens se mettaient à utiliser les mêmes formules de politesse que l´envahisseur: ces quatre petits vers dignes de Voltaire, je les avais rencontrés par hasard lors d´un petit travail de rafistolage que j´effectuais sur le documentaire réalisé par une célèbre écrivaine algérienne d´expression française et d´origine berbère, mais qui ne parlait pas le kabyle.
Dans son documentaire qu´elle avait monté à Paris, mon attention a été attirée par le commentaire où se distinguait la traduction en français des 4 petits vers: «Quand ils nous ont appris «Bonjour!»- Nous avons reçu le coup sur le nez- Quand ils nous ont appris «Bonsoir»- Nous avons reçu le coup sur la mâchoire.»
Avec la curiosité que j´avais à l´époque, (c´était au lendemain du Printemps berbère) pour ce qui touchait à ma langue maternelle, j´avais fait remarquer à la célèbre romancière qu´étant donné les probabilités de rimes qu´exigeaient les vers, ce petit poème ne pouvait avoir été écrit que par un Kabyle.
La bonne dame me répondit évasivement que c´était un poète des premières années de la colonisation. Elle ne prit même pas le soin de m´indiquer ses sources d´autant que dans mon attitude réservée, je ne m´étais pas fait trop curieux. Ce n´est que plusieurs années après que j´eus le bonheur de faire la rencontre fortuite de cette épigramme dans un recueil de poèmes kabyles collectés par Boulifa. La boucle était bouclée! Mon bonheur fut à son comble: mon petit village avait eu le privilège d´abriter des poètes oubliés mais engagés et certains de leurs descendants étaient des voisins très proches.


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