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L'espoir prend le pas sur la douleur
SEISME DU 21 MAI 2003 OPERATIONS DE SAUVETAGE
Publié dans L'Expression le 25 - 05 - 2003

Les jeunes ont pris les choses en main, avec les moyens du bord, en attendant le renforcement des équipes de secouristes.
«Essayez encore, je suis sûr qu'elle est là sous les décombres, s'il vous plaît n'abandonnez pas les recherches! S'il vous plaît...vous êtes notre seul espoir.» Karim prie l'équipe russe de sauvetage de relancer les recherches pour retirer sa nièce Nesrine 12 ans, ensevelie sous les décombres de la cité 1200 Logements à Boumerdès qui s'est effondrée comme un château de cartes. L'espoir de la famille a ressurgi après l'appel au secours lancé par Nesrine hier à 11h. «Je suis encore vivante, je suis encore vivante sortez-moi de là j'étouffe, je vais mourir.» La miraculée du sinistre n'a pas donné signe de vie depuis. Il est 15h 30, la brigade canine arrive sur les lieux, entame les recherches, en vain, les chiens ne détectent aucun corps. «Vous êtes sûr d'avoir entendu sa voix?» «Oui, s'il vous plaît ne partez pas.» C'est un cri de désespoir d'une famille ayant perdu trois de ses membres. Il n'est pas question d'abandonner Nesrine la benjamine. Le bilan est assez lourd et la douleur est profonde. L'équipe russe n'avait pas l'intention de baisser les bras. «Si elle est là nous la retirerons, ne craignez rien», rassure un secouriste. Karim précise que sa nièce était, en train de réviser, au salon au moment du tremblement de terre. Un détail important pour les secouristes, un autre détail qui semble intriguer les Russes. «Que fait cette dalle ici», s'interrogent-ils «C'est nous qui l'avons bougée après avoir entendu la voix de Nesrine.»
«Reculez et ne touchez à rien. Vos gestes peuvent menacer la vie de la fillette.» En effet, pris de panique et livrés à eux-mêmes, les proches et les habitants du quartier se sont précipités pour entamer les opérations de déblayage. «Vous pensez qu'elle est morte après notre intervention», demande le grand-père d'un ton qui sonne comme un mea culpa. «Non je suis sûr qu'elle est encore vivante. J'ai entendu sa voix. Se pourrait-il que j'imaginais? Je n'en sais rien.» Il faut dire que chez cette famille l'espoir a pris le pas sur la douleur. «On aura tout le temps de faire le deuil des proches perdus, pour le moment c'est la vie de Nesrine qui compte le plus.» Le grand-père n'est pas fataliste, mais c'est la vie de la petite-fille qui prime et pour le moment elle est suspendue peut-être à l'efficacité de l'intervention de l'équipe de sauvetage. Le facteur temps est important. Nesrine est en train d'étouffer. Jusqu'à quand tiendra-t-elle? Dans ce quartier, plusieurs immeubles se sont effondrés. Le décor est apocalyptique. «C'est la fin du monde», nous dira Amine, 15 ans.. Nous nous arrêtons devant ce qui était auparavant une cité, complètement démolie par la puissante secousse tellurique. Ici les jeunes semblent prendre les choses en main, avec les moyens du bord en attendant le renforcement des équipes de secouristes. «Où sont les responsables? Aucune autorité locale n'a daigné se déplacer vers nous; où est l'Etat?», s'écrie un parent de victime. Dans ce site, les citoyens ont pu sauver plusieurs personnes. Une trentaine demeure encore sous les décombres.
«Où est l'Etat?»
Mais l'intervention des spécialistes tarde. Ici nous avons rencontré des secouristes français qui semblaient plutôt gênés par «l'absence d'organisation». «On ne nous laisse pas faire notre travail, nous leur avons demandé de nous laisser inspecter le chantier pour déterminer les poches de survie avant d'intervenir, mais ils refusent d'écouter notre conseil», nous dira le responsable du groupe. «eux», ce sont les volontaires qui se sont mobilisés spontanément pour retirer les corps. «Nous avons l'impression que les gens ne nous font pas confiance, précise notre interlocuteur, et pourtant nous avons sauvé huit personnes en l'espace de quelques heures.» Pour les citoyens le temps presse. «Il ne faut perdre aucune seconde mon frère est enseveli dans cet endroit je ne pourrais rester les bras croisés», déclare Mohamed, qui a pu se débrouiller une tronçonneuse pour aider dans les opérations de sauvetage. La colère est à son comble au niveau des 1200 Logements. L'Etat n'a pas déployé tous ses moyens, ont tendance à penser les gens ici. «L'engin (une pelleteuse) que vous voyez ici a été transporté de Bordj Menaiel par un proche d'une victime, et Ouyahia dit qu'ils ont des difficultés à acheminer es moyens de secours dans les zones sinistrées. Ils prennent les Algériens pour des idiots.»
Nous avons retrouvé le même désarroi à Corso (wilaya de Boumerdès). Au niveau de la cité Sntf , trois immeubles se sont effondrés, et des dizaines de corps sont piégés sous des tonnes de béton. Au troisième jour de la catastrophe, l'on a retrouvé seulement une dizaine de secouristes et des agents de l'ANP. Les familles des victimes déplorent, là aussi, «le laxisme des responsables», mais comme nous dira Fateh, «le temps n'est pas aux rancunes, il y a des corps qu'il faudra retirer des décombres». Face à l'absence de moyens, les choses ne semblent pas trop avancer dans ce quartier. Mais les jeunes ne baissent pas les bras, au risque de leur vie. «N'était la mobilisation des citoyens depuis les premières minutes qui ont suivi le tremblement de terre, il est clair que le bilan serait plus catastrophique», reconnaît un agent de la Protection civile.
Et d'ajouter: «Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sauver des vies, mais comme vous le constatez nous manquons de moyens et notre effectif est très réduit». L'Algérie n'a-t-elle pas les moyens humains et logistiques pour faire face à ce genre de phénomène naturel? «Posez la question aux responsables», nous répond-il.
Un décor apocalyptique Au niveau des sites, nous n'avons trouvé personne. A Zemmouri, une ville complètement ravagée par le séisme, le temps semble s'être arrêté depuis mercredi. «Nous avons l'impression qu'on n'existe même pas, nous a-t-on oubliés?».
Les citoyens se sont rassemblés autour d'une équipe allemande de sauvetage qui a commencé ses interventions au niveau du café de la placette, complètement détruit. « Il y a certainement un nombre très important de corps sous les décombres, puisque les jeunes ont l'habitude de se rassembler dans cet endroit pour suivre les matches de foot. Mercredi, quelques minutes avant la secousse, des dizaines de jeunes sont venus voir la rencontre entre FC Porto et Celtic Glasgow.» Pensez- vous qu'il y ait des chances de retrouver des survivants ?, avons nous demandé aux secouristes. «Nous avons sauvé des vies humaines dans des situations pires que celle-ci», rassurent-ils. Les citoyens sont priés de reculer pour ne pas entraver les opérations de sauvetage. Ils font marche arrière puis quelques pas en avant, pour revenir à la case départ. Ils se mêlent en fin de compte à l'équipe de secouristes.


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