Le système bancaire national reste archaïque et donc perméable à toutes sortes de malversations et de scandales. «Nous avons tous rêve.» «Nous avons tous été blousés.» «Cela a été l'arnaque du siècle en Algérie.» Ce sont là, les commentaires du Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, devant, d'abord les députés de l'APN, il y a quelques jours, puis avant-hier face aux sénateurs du Conseil de la nation à propos de l'affaire El Khalifa Bank qui est désormais vue par beaucoup, plus comme un scandale politico-financier que comme une simple erreur de gestion bancaire. Il est vrai que les pertes pour le Trésor public et pour la collectivité nationale sont énormes, puisque de l'aveu même du premier responsable de l'Exécutif le «trou» financier occasionné par cette institution bancaire privée se chiffre à pas moins de 100 milliards de dinars. La rapidité avec laquelle s'est écroulé le Groupe Khalifa démontre en fait toutes les incohérences et la fragilité du système financier algérien qui risque de connaître à court et moyen termes d'autres séismes financiers de ce genre. Déjà, en revenant à la charge sur ce dossier, M.Ouyahia, qui a estimé que celui-ci «relevait un peu de la psychiatrie», a cité un autre «pot pourri» qui commence à faire parler de lui et à envahir les manchettes des journaux. C'est celui de la Bcia au sujet de laquelle les premiers rapports d'enquête indiquent selon le Chef du gouvernement, une «anomalie» de 7 milliards de dinars sous forme de traites impayées opposant cette banque à la Banque extérieure d'Algérie (BEA). Le préjudice est surtout subi par la BEA qui aurait été escroquée par cette banque privée (la Bcia) qui finance, selon Ouyahia, les activités de «l'import-import», d'au moins 900 millions de dinars. Mais, il n'y a pas que les seules institutions bancaires privées qui sont à blâmer dans ce genre de scandales. Le Chef du gouvernement qui a rassuré les petits déposants blousés d'El Khalifa Bank (moins de 600.000 DA), qu'ils seraient remboursés au jour le jour par la Caisse de garantie des dépôts, créée le 29 mai dernier, et non pas dans six mois, a néanmoins engagé la responsabilité des gestionnaires d'entreprises et de la justice. Bien plus, a-t-il ajouté, quand les pouvoirs publics ont procédé dernièrement à la révision de la fameuse loi sur la monnaie et le crédit, les mêmes milieux qui se disent aujourd'hui scandalisés, ont très vite crié au dirigisme économique et financier. Il en a été de même, selon lui, avec le décret instituant la répression des infractions à la législation relative au change et au transfert de capitaux. Aussi, dans sa logique d'assainissement du secteur bancaire, le Chef du gouvernement n'a pas hésité à brandir le retrait d'agrément aux institutions coupables et de revoir le seuil minimum de capital social pour des institutions bancaires fixé actuellement à 500 millions de dinars. Il a également évoqué un possible usage de la contrainte au corps et une éventuelle révision du code pénal pour que les auteurs de ces délits, une fois jugés et libérés, remboursent les sommes dilapidées au lieu de se retrouver à la tête d'immenses fortunes. Or, devant l'état d'archaïsme dans lequel travaillent encore nombre d'institutions financières du pays, ces projets de mesures seront-ils suffisants pour protéger l'économie nationale de ce genre de dérives? Au vu des contradictions qui caractérisent les déclarations du Premier ministre et de certains de ses ministres sur ce secteur, les observateurs doutent de l'efficacité de cet arsenal pour venir à bout de ce mal endémique qui ronge la sphère de la finance en Algérie. Ils s'interrogent aussi sur le timing et les cibles visées par ce qui semble être une nouvelle «mani pullit» (mains propres) déjà essayée par le passé par ce même Ahmed Ouyahia avec les résultats que l'on sait. Il est patent que, depuis que dure cette interminable transition du pays vers l'économie de marché, la gestion des affaires du pays, dans tous les secteurs, se fait avec un minimum de référence aux normes universelles du capitalisme fi-nancier du XXIe siècle. Sans règles et règlements précis, ni mécanismes de contrôle ou de surveillance fiables des opérations financières, pour ne pas dire de garde-fous à toute épreuve, les malversations, les détournements de fonds et les «déficits» financiers involontaires ou provoqués continueront de générer désordres, scandales croustillants et, partant, une animation sulfureuse de la vie politico-économique nationale.