Un fonctionnaire, Messaoud O., prend sa plume et rédige un mot au directeur général à propos de Abdessatar F. Patatras! Le client de Maître Mohammed Djediat, victime de dénonciation calomnieuse avait franchement, ce mardi, une mine d´enterrement d´un être cher. Abdessatar F., 49 ans le jour du procès, voulait mordre les phalanges qui ont transcrit des mots durs, perçants, blessants, mais faux, adressés aux responsables centraux concernant son comportement. Et la mine catastrophée qu´il affichait, la semaine dernière face à Selma Bedri, la présidente de la section correctionnelle du tribunal d´El Harrach (cour d´Alger), allait voir un changement évolutif au fur et à mesure de la montée en puissance de la plaidoirie, toute en couleur et en «vistavision» de l´avocat de Patrice Lumumba. Une plaidoirie construite sur et autour des termes de l´article 300 de la section V, atteintes portées à l´honneur et à la considération des personnes et violation de secrets du Code pénal. Et nous pouvons vous assurer sans risque d´être contredit, que ces termes ont été choisis par le législateur pour atteindre la cible: délit. Il ne restera alors au juge du siège qu´à emprunter ce chemin lumineux pour faire payer cher la dénonciation calomnieuse: «Un emprisonnement de six mois à cinq ans et d´une amende de 500 à 15.000 dinars.» Voilà pour ce qui est des munitions dont se sert le magistrat. Reste maintenant à convaincre ce même juge avec des preuves, l´intime conviction étant écartée en correctionnelle. Et pour le bonheur du justiciable humilié, il a deux avocats: outre le talentueux Maître Djediat, il y a le représentant du ministère public. Et ce mardi, il s´agit du redoutable Mohammed Ali Harchi. Redoutable surtout qu´il détient la preuve: la lettre de dénonciation! Le malheur pour l´inculpé, c´est que tout ce qui a été écrit sur le dos de Abdessatar F. est faux. Et c´est le destinataire, le directeur central qui avait mené en parsemé, l´enquête sur son subordonné. Et toute discrète qu´elle peut être, une enquête éclaboussée, car il y a dans les services des bouches qui adorent aller vers des oreilles! D´ailleurs, à propos du bouche-à-oreille, Maître Djediat avait tenu à rappeler ou à apprendre à la jeune juge d´El Harrach que l´ère de l´oralité aurait dû s´évaporer devant le stylo et le micro-ordinateur. «Non, il y aura toujours des amateurs de ragots. Ceux qui les balancent et ceux qui adorent les entendre et souvent les amplifier», avait articulé le défenseur que regardait avec beaucoup d´intérêt son client qui commençait alors à se calmer. Il allait presque crier au monde son désistement, car il s´est aperçu, dès lors que la mine de son adversaire était en train de se défaire. Normal, lorsqu´on a eu, en face, un conseil de l´envergure de cet avocat, on a envie de déposer les armes et s´avancer, drapeau blanc en main! Et ici, deux mots autour de l´interrogative menée tambour battant par une Bedri qui fait chaque mardi des efforts pour éviter la médiocrité qui tente nos chers jeunes magistrats, lesquels se refusent à ressembler aux aînés. «Alors, que s´est-il passé pour que vous soyez poursuivi?» marmonne, le stylo entre l´index et le pouce, la présidente qui va de suite sommer la victime de se taire, car elle venait de répondre à la place de Messaoud. O., l´inculpé: «Il est jaloux de moi.» «Vous, vous n´allez plus parler jusqu´à ce que le tribunal vous le permette! C´est compris?» La victime baisse la tête, il venait de «déléguer» ses protestations à son conseil qui allait entamer une piquante intervention dont il détient le secret. «Nous ne demandons en guise de dommages que le dinar symbolique. Ce serait le meilleur des intérêts», avait conclu l´avocat qui s´était étalé sur l´insertion du verdict intégral dans les journaux dont l´intitulé se trouve sur la requête écrite remise au tribunal: «Cela a fait beaucoup de dégâts moraux. Nous serions heureux de cette initiative que peut prendre le tribunal seul», avait martelé le défenseur qui aura entière satisfaction à l´issue de l´audience et ce, après une minutieuse mise en examen du dossier. Abdessatar et Messaoud, eux, s´étaient séparés sans se dire un seul mot. Ah! la rancune et la haine qui minent notre société...