Sous une fausse apparence d'aisance, les couches défavorisées restent plongées dans une profonde misère sociale. La brusque résurgence de maladies qu'on croyait révolues, ou pour le moins rayées de la carte sanitaire, a de quoi surprendre. Dans un laps de temps très court, les gens découvrent que l'on meurt encore de rage, de peste et de typhoïde en Algérie. Coup sur coup, les secteurs sanitaires d'Oran, de Constantine, de Tizi Ouzou et de Jijel ont lancé des plans d'urgence contre, successivement, la peste, la typhoïde, la rage et le Sras. Si le secteur sanitaire de Jijel a pu lever la mise en quarantaine sur les cas suspectés de Sras, l'hôpital de Tizi Ouzou a enregistré un décès par rage, l'hôpital de Constantine un mort de typhoïde et trois autres décelés, et enfin à Oran, on ne sait plus où on en est avec la peste qui a mis en alerte toutes les autorités du pays, et dont on suspecte la propagation à d'autres villes de l'Ouest. Voilà en grosses lignes inquiétantes le recul de la santé en cette dernière semaine de juin 2003. Pour effrayant que soit ce tableau, il l'est pour au moins trois raisons. Primo, il renseigne en fait sur la face cachée d'un pays dont la croissance économique (importantes rentrées en devises enregistrées en 2001 et 2002) est inversement proportionnelle à la misère sociale. Sous une fausse apparence d'aisance, les couches défavorisées restent plongées dans une profonde misère sociale. Deuzio, telles que les choses se présentent aujourd'hui, il n'est pas du domaine du possible de s'attendre à une nette amélioration du produit sanitaire dans les zones rurales. L'argent débloqué pour parer aux agitations sociales et aux destructions dues au tremblement de terre du 21 mai dernier est d'une importance telle qu'il est difficile de faire un autre effort important dans le domaine de la santé. Les choses seront peut-être meilleures et la situation plus surveillée, mais cela n'exclut pas que les mêmes risques peuvent se reproduire. Tertio, l'été 2003, caractérisé par les effets du tremblement de terre, la précarité des zones sinistrées et une chaleur de plus en plus étouffante, et qui va accentuer la décomposition et l'accélération des processus biologiques, comporte déjà les ingrédients d'une «saison à risques». De passage dans les «zones-tentes» des villes sinistrées, le constat a été le même: la précarité du logis, la chaleur sous la bâche et le manque d'eau favorisent l'émergence de maladies. «C'est la gale qui est aujourd'hui la maladie que nous soignons le plus», nous dit un médecin-pédiatre d'un centre d'accueil à Zemmouri, qui ajoute: «Le milieu, la promiscuité, la chaleur, la poussière et le manque d'hygiène sont autant de facteurs qui favorisent la propagation des maladies dans ces zones sinistrées.» A Squirat, les Figuiers et Zemmouri, les moustiques deviennent de plus en plus insupportables. Si la nuit qui tombe rafraîchit l'atmosphère, les moustiques sont là pour lacérer des corps déjà endoloris, et sous les tentes «munies d'une lampe et d'une prise d'électricité» les moustiques ne se font pas prier pour entrer, piquer et...y rester. L'eau, hantise des techniciens de la santé, devient aussi une autre source de soucis. Si les forages, barrages et autres conduites sont contrôlés par l'Algérienne des eaux, plusieurs centaines de canalisations d'eau destinées à la consommation sont gérées par les APC, dont les insuffisances en la matière sont notoires, et qui se contentent de vider, épisodiquement, de l'eau de Javel dans l'eau courante. La Ligue algérienne des droits de l'Homme a diffusé un communiqué dans lequel elle exhorte le gouvernement à «mettre au point un programme de santé à même d'éradiquer des maladies comme la peste, la tuberculose ou la gale». C'est dire la précarité de la santé des citoyens au moment où, à Alger même, se tiennent les 8e rencontres internationales sur la lutte contre la pauvreté. Au moment où 14 des 31 millions d'Algériens vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon des statistiques officielles. En fait, à la périphérie des grandes villes, la pauvreté, la précarité et l'indigence sociales sont telles que les rats d'égout avancent...à grands pas.