Le cheikh d'Al Azhar, Ahmed Al-Tayyeb, ouvre une brèche dans l'unanimité jusqu'ici observée en préconisant une séparation des pouvoirs Dans un document, cheikh Ahmed Al Tayyeb soutient «l'établissement d'un Etat national, constitutionnel, démocratique, moderne», fondé sur la séparation des pouvoirs et garantissant l'égalité des droits entre les citoyens. La prestigieuse institution sunnite d´Al Azhar, au Caire, est entrée hier dans le débat sur l´Egypte post-Moubarak en se prononçant pour un Etat «démocratique moderne» et non religieux, garantissant la protection des lieux de culte des trois religions monothéistes. Le grand imam d´Al Azhar, cheikh Ahmed Al Tayyeb, a détaillé lors d´une conférence de presse retransmise à la télévision un document élaboré après plusieurs rencontres entre des intellectuels et Al Azhar, dont le but est de définir «la relation entre l´Islam et l´Etat en cette phase délicate». Ce document soutient «l´établissement d´un Etat national constitutionnel démocratique moderne», fondé sur la séparation des pouvoirs et garantissant l´égalité des droits entre les citoyens, selon cheikh Al Tayyeb. «L´Islam n´a pas connu, ni dans sa civilisation ni dans son histoire, ce qui est connu dans d´autres cultures comme l´Etat religieux clérical qui a dominé les gens et dont l´humanité a souffert lors de certaines périodes de l´Histoire», a-t-il ajouté. Le cheikh d´Al Azhar a toutefois précisé que les principes de la charia islamique devaient rester «la source essentielle de la législation» - comme c´est le cas actuellement - et que les adeptes des autres religions monothéistes pourraient avoir recours à leurs propres tribunaux concernant les affaires de statut personnel. Le document appelle à «la protection des lieux de culte des adeptes des trois religions monothéistes» et considère «l´incitation à la dissension confessionnelle et les appels racistes comme des crimes contre la nation». Ce document est rendu public alors que l´Egypte, où le président Hosni Moubarak a été renversé en février, est en plein débat sur l´avenir de ses institutions et sur la montée en puissance des Frères musulmans, le mouvement le mieux organisé du pays, mais aussi sur la visibilité croissante des salafistes. Les milieux laïques ainsi que la communauté chrétienne copte redoutent que les islamistes en renforcent encore leurs positions lors des législatives prévues en septembre et de la rédaction d´une nouvelle constitution qui doit suivre. Les Frères musulmans assurent ne pas être en faveur d´un Etat religieux. Les salafistes (des fondamentalistes musulmans), en majorité apolitiques sous l´ancien régime, se font de plus en plus entendre et sont soupçonnés d´être derrière des attaques contre des églises coptes au Caire. Le document d´Al Azhar vise notamment à éviter que le discours religieux ne soit «exploité par divers courants déviants qui pourraient brandir des slogans religieux confessionnels ou idéologiques en contradiction avec les fondements de notre nation», a expliqué l´imam d´Al Azhar, sans nommer ces courants. En avril, l´armée, qui dirige le pays depuis la chute de M. Moubarak, avait affirmé qu´elle ne permettrait pas que l´Egypte soit gouvernée par «un autre Khomeiny», en référence à l´ayatollah qui a dirigé la révolution islamique de 1979 en Iran. «Le Conseil suprême des forces armées ne permettra pas à des courants extrémistes de contrôler l´Egypte», avait déclaré l´adjoint du ministre de la Défense, Mohammed Mokhtar al-Mella. Cheikh Ahmed Al Tayyeb a enfin appelé hier à «soutenir le projet d´indépendance d´Al Azhar», d´après lequel l´imam d´Al Azhar ne sera plus nommé par le président de la République mais élu par un collège d´oulémas. Al Azhar, une institution millénaire, reste la plus prestigieuse de l´islam sunnite et son université attire des étudiants du monde entier même si la crédibilité de son ancien imam, Mohammed Sayyed Tantaoui, décédé en 2010, avait été entamée par sa proximité avec le pouvoir égyptien.