La disparition de Djamel Eddinee Khene va-t-elle relancer prématurément la polémique sur la privatisation de Sonatrach entre la Centrale Ugta et M.Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, et ancien P-DG par intérim de la compagnie nationale? Le bras de fer était d'autant plus retentissant qu'il marquait une ligne de front entre ce qu'on a désigné par le clan présidentiel et une bonne partie de la classe politique algérienne. Non seulement le syndicat des pétroliers, fortement appuyé par M.Abdelmadjid Sidi Saïd, était parti en guerre contre le ministre P-DG, allant jusqu'à exiger sa démission pure et simple, mais en plus le Forum des chefs d'entreprise, emmené par Omar Ramdane, avait exprimé ses réserves, lors d'une conférence tenue à l'hôtel El-Aurassi, à l'endroit d'un projet qui touchait un secteur sensible, celui d'une compagnie qui représente, bon an mal an, près de 95 % des recettes en devises du pays. En 2002, cette recette était équivalente à 18 milliards de dollars. En d'autres termes, Sonatrah, c'est rien moins qu'un Etat dans l'Etat. Cette montée au créneau était d'autant plus sérieuse qu'elle avait le soutien des principales formations politiques du pays, y compris les plus libérales, comme le RND. Passe qu'un parti nationaliste, comme le FLN, par ailleurs comptable des étatisations de l'économie opérées au cours des années 70, ait mis son veto au projet de réforme des hydrocarbures proposé par M.Chakib Khelil, mais la levée de boucliers venait de différents horizons. La partie qui se jouait était serrée. M.Chakib Khelil, qui portait une double casquette de ministre et de P-DG, avait l'oreille du Président, lui-même soutenu par les Etats occidentaux. A leur tête les Etats-Unis, dont le secrétaire adjoint au Commerce, Samuel Bordman, en visite à Alger, avait mis dans la balance le soutien de son pays à l'Algérie avec la levée du monopole sur les hydrocarbures. Pendant ce temps, M.Chakib Khelil, en bon communicateur multipliait les sorties médiatiques aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, à l'effet de promouvoir un projet de réforme qui était, en dépit de ses efforts, demeuré suspect aux yeux de l'opinion publique algérienne. Cette dernière avait peur d'une mise à mort de la poule aux oeufs d'or. Ne dit-on pas qu'un tient vaut mieux que deux tu l'auras? C'est Sonatrach qui assure les importations de denrées alimentaires et de médicaments. La privatisation des hydrocarbures ne va-t-elle pas mettre en danger la sécurité alimentaire des populations? Malgré donc l'appui des puissances occidentales, le projet de Chakib Khelil rencontrait une résistance farouche de la classe politique, jusque et y compris à l'intérieur même du pouvoir. Alors que Chakib Khelil affirmait le contraire, le premier ministre de l'époque, Ali Benflis, déclarait de façon péremptoire que le projet n'était pas inscrit au programme du gouvernement. Le président de l'Assemblée nationale, M.Karim Younès, très proche de Ali Benflis, avait également exprimé son opposition au projet. Quant à l'actuel locataire du Palais du gouvernement, M.Ahmed Ouyahia, il n'a peut-être rien dit pour l'instant en tant que Premier ministre, mais il n'en pense pas moins. De toute façon, pendant la campagne électorale pour les législatives, le patron du RND n'avait pas caché ses «réserves» pour ne pas dire plus. Et il ne fait aucun doute que la reconduction de M.Chakib Khelil dans le gouvernement Ouyahia a dû faire l'objet d'un compromis entre le Président de la République et M.Ouyahia, puisque la nomination de Khene à la tête de Sonatrach a bizarrement coïncidé avec la remaniement ministériel. Que va-t-il se passer maintenant? M.Khelil sera-t-il tenté par les anciens démons, et reprendra-t-il en main les rênes de Sonatrach, ou bien la pression politique sera-t-elle assez puissante pour le dissuader d'avoir recours à cette éventualité?