«C'est le jour de fête qu'on se gratte la tête» Kurzas Hier, cinq juillet deux mille onze, nos concitoyens ont vécu une autre journée caniculaire comme toutes les autres, à ceci près qu'elle fut une journée chômée et payée pour tous ceux qui ont le privilège de posséder un boulot où ils sont déclarés et où le patron, même privé, a encore des séquelles de patriotisme. Tout cela, grâce à une poignée d'individus courageux qui ont décidé un certain Premier Novembre que l'Algérie de Papa devait changer de mains. Il ne faut pas oublier non plus que c'est aussi grâce à ceux qui ont malicieusement déplacé la date du 03 vers le 05, pour pouvoir célébrer en même temps une défaite et une victoire. La journée qui était censée être la plus solennelle de l'année sera, hélas! vécue comme n'importe quelle autre journée et les citoyens continueront à vaquer à leurs occupations quotidiennes comme si de rien n'était. Les professionnels de la politique vont expédier en deux temps trois mouvements des cérémonies à la mémoire de ceux qui n'auront jamais pensé qu'un jour leurs frères sortiront dans la rue pour réclamer un logement, des transports décents ou simplement la liberté de marcher dans la rue, en groupes, en lignes ou en processions. Pas plus qu'un jour, ils n'ont pensé que des gens avisés vont démanteler le frêle édifice industriel, qu'une loi sera votée par des représentants surpayés pour que les Algériens puissent se vêtir du rebut des autres nations et que ce sont les travailleurs asiatiques qui bénéficieront le plus de la liquidation des manufactures algériennes... Certains se consoleront en pensant aux conclusions de la future tripartite qui se tiendra une fois que la bourse des ménages sera ratissée par une armée de spéculateurs qui n'auront pas jeûné durant le mois sacré... Certains vont profiter de cette journée de pause (ceux qui ont la chance d'avoir trouvé un travail, bien sûr!) pour rendre visite à la famille, pour se rendre à une plage non occupée par la nomenklatura ou non interdite comme dans le bon vieux temps «aux chiens et aux Arabes» comme on osait le dire à l'époque du Code de l'indigénat. Entre plage interdite et plage polluée, la différence est mince. D'autres vont tuer leur ennui à faire le marché informel, tandis que d'autres essaieront d'attaquer une partie de dominos qui ne s'interrompra qu'à l'heure de la prière... Les plus désabusés continueront à rouler leur joint contre un mur qui porte l'empreinte de leur ombre... Mais combien regarderont ce drapeau vert et blanc, frappé d'un croissant et d'une étoile rouge qui claque au vent? A part les officiels dont le gagne-pain, je dirais même la rente, est entretenue par ces images d'Epinal, combien d'Algériens regarderont en arrière pour évaluer le chemin parcouru et se poser par la même occasion les questions, fort à propos. La première qui vient à l'esprit est celle qui torture tous les hommes qui ont vécu une partie de leur vie dans la période coloniale et traversé les affres de la guerre et ses contingences de morts et de souffrances: «Kaddour a-t-il remplacé François?» C'est à cette question terrible que devront répondre devant le tribunal de l'Histoire, ceux qui, à travers des coups d'Etat permanents, qu'il serait fastidieux et douloureux d'énumérer ici tant ils sont nombreux et multiformes, ont enlevé au peuple tout droit à la parole pour mieux l'assujettir, avant de lui enlever tous les autres droits qui font partie du droit d'exister: droit au travail, droit au logement, droit à la liberté d'expression... Peut-être, et tous les observateurs lucides vous le diront, l'indépendance est un progrès mais comme pour les élèves doués qui, par paresse ou par esprit de facilité, se sont laissés aller, on peut dire simplement à ceux qui ont gouverné: «Auraient pu mieux faire!»