«Les vacances, c'est faire autre chose que ce que l'on a l'habitude de faire. C'est aussi voir autre chose que ce que l'on a l'habitude de voir: les paysages, les visages...» Kurzas Le médecin, après m'avoir accueilli avec une certaine jovialité, me pria de m'étendre sur sa table: il prit l'air le plus sérieux du monde en écoutant à travers son stéthoscope les battements d'un coeur fatigué. Il reprit son sourire habituel et après avoir énoncé son diagnostic sur un ton optimiste, il me déclara: «Alors, Monsieur, M'sili! Qu'allez-vous faire pendant ces vacances?» D'habitude, il me demandait sur un ton de confidence si je n'avais pas quelque projet en tête. C'était sa façon à lui de me dire que j'avais encore le temps devant moi et que les projets aident à vivre... J'ai esquissé quelque chose qui ressemblait à un sourire désolé et je lui ai répliqué tandis qu'il remplissait consciencieusement son ordonnance: «Les vacances? Quelles vacances? Laissez-moi rire! Vous connaissez beaucoup d'Algériens qui peuvent se permettre d'aller en vacances? Les vacances! Ce n'est pas pour nous! C'est pour les gens qui en ont les moyens! C'est devenu un rêve ou plutôt c'est un souvenir! Les vacances, c'est avant tout une affaire de pouvoir d'achat! Il ne suffit pas d'être un économiste ou d'avoir des statistiques pour s'apercevoir que le revenu moyen de l'Algérien atteint le seuil de la clochardisation: il ne peut plus se payer de vacances, ni à lui ni à ses enfants. Son niveau de vie a dégringolé d'une manière significative. Il fut un temps où ses vacances pouvaient consister, quand la sortie du territoire national était assujettie à une autorisation de sortie, à louer un modeste cabanon du côté de Fouka, ou planter sa tente dans un coin tranquille sur la côte turquoise sans être dérangé. Il y avait une sécurité absolue. Les plus mal lotis pouvaient faire de quotidiens va-et-vient entre une plage toute propre mais dépourvue de toute commodité et son chez-soi. Il fut un temps où le plus moyen des quidams, pouvait s'offrir, l'allocation touriste aidant, une virée sur Marseille avec sa compagne et passer uns semaine à faire du shopping chez le «Tati» du coin et revenir au pays avec les sachets pleins de chiffons et autres babioles. D'autres pouvaient se payer une petite semaine à l'économie, du côté de Palma ou en Tunisie. Bref, on avait le choix à la mesure de notre portefeuille. Ce qui n'est plus le cas à présent. Maintenant, ce n'est plus pareil, non seulement le moindre devis donne le vertige mais aussi, plus moyen de mettre le nez dehors dans les environs: les meilleures plages ont toutes été confisquées et ailleurs, les conditions de sécurité sont aléatoires... sans parler des émeutes qui éclatent sporadiquement ici et là et qui risquent de transformer un voyage de plaisance en enfer. Il reste pour certains, le camping. Mais allez donc passer des «vacances» à ce qui ressemble à un camp de réfugiés! Et puis, les sommes demandées peuvent sévèrement grever un budget annuel qui a du mal à tenir la route. Donc, ses «vacances» vont consister à essayer de régler ce qu'il n'a pas pu régler le reste de l'année: courir pour des papiers, repeindre sa maison et pour certains privilégiés, faire un petit tour au «bled» pour faire savoir aux gens qui se souviennent d'eux, qu'ils sont encore de ce monde. Cette année, le plus avisé des pères de famille passera son congé à préparer le Ramadhan.»