Pour Michael et Robert Brookes, le temps des vacances est arrivé. Michael et Robert Brookes, respectivement vingt-trois et vingt et un ans, sont étudiants à l'université de Winnipeg, dans l'Etat du Manitoba, au centre du Canada. Ce sont deux garçons à l'allure saine et sympathique ; leur père est médecin, leur mère secrétaire dans un laboratoire et ils se destinent tous deux à être ingénieurs. Ils réussissent d'ailleurs fort bien dans leurs études, ce qui ne les empêche pas, comme beaucoup de jeunes Anglo-Saxons, de pratiquer assidûment plusieurs sports. Bref, ils ont toutes les qualités qu'on peut espérer à leur âge et les meilleurs atouts pour réussir dans la vie... Pour l'instant, ce 22 juin 1993, le principal souci de Michael et Robert Brookes est d'ordre matériel. Leur père leur a donné 2 000 dollars pour les vacances en leur disant : «Débrouillez-vous.» Michael et Robert aimeraient bien faire du camping dans l'île de Vancouver, mais c'est loin. Entre l'achat d'un camping-car, l'essence, la nourriture et les quelques accessoires indispensables, la somme sera largement dépassée. Alors, il ne reste plus que la débrouille. Voilà pourquoi ils se trouvent en ce moment chez un casseur de voitures avec l'espoir d'y trouver un véhicule dans leurs prix. Le casseur, un moustachu bedonnant, les trouve visiblement sympathiques et aimerait bien faire quelque chose pour eux. «Je n'ai malheureusement pas de camping-car en ce moment, les gamins. Mais peut-être que j'en recevrai dans quelques jours. — Attendre, ce n'est pas possible. On ne peut pas perdre une partie de nos vacances...» C'est alors que Michael, l'aîné, aperçoit un véhicule et le désigne à son frère : «Qu'est-ce que tu en penses, Robert ? — Tu es fou ? — Non. Avec un peu de peinture, ce sera parfait. C'est exactement ce qu'il nous faut !» Le patron s'approche d'eux avec un sourire jovial. «Ça, c'est une idée ! Je n'y aurais pas pensé... Tenez, si cela vous intéresse vraiment, je vous le fais à 1 000 dollars. — 1 000 dollars, c'est d'accord ! — Vous serez contents. La carrosserie est moche, mais le moteur est bon. Vous allez passer de sacrées bonnes vacances, les gamins !» Francis M. vient de quitter les faubourgs de Vancouver. Il marche sans se presser... En quatorze ans de prison, quatorze ans à ne rien faire, on oublie ce que c'est que d'être pressé. Et comme il est sorti le matin même, il n'a pas encore repris l'habitude... C'est drôle comme les gens peuvent changer en quatorze ans : les robes des femmes, les modèles de voitures. A part cela, tout le monde a l'air plutôt bien dans sa peau. Personne n'a l'air de faire attention à lui. Tout comme personne n'avait fait attention à lui, quand il était en prison. Francis M. se sent soudain pris d'une haine invincible contre l'humanité entière. Son visage de quarante ans aux joues bleuies et aux traits durs se contracte, tandis que ses yeux se mettent à briller... Il accélère l'allure. Il se dirige vers le port où il prend le bateau à destination de l'île de Vancouver. Pour y faire quoi ? Il ne le sait pas. Francis M. aimerait bien que ce sentiment de haine le laisse en repos. Mais pour l'instant, la haine reste la plus forte. Depuis qu'il est sorti de prison, il n'arrive pas à chasser ses souvenirs. Ils reviennent imperturbablement. Ce sont toujours les mêmes. Il y a eu d'abord le directeur l'appelant dans son bureau, le jour de sa libération. Il est venu vers lui et lui a tendu une main qu'il s'est refusé à serrer. «J'ai tenu à vous voir avant votre départ, mon cher M...» Cela devait bien être la première fois qu'il disait «mon cher» à un détenu ! Après être resté quelques instants tout bête avec sa main tendue, le directeur a fini par la remettre dans sa poche. (à suivre...)