«Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent.» Chateaubriand Si l'on pouvait faire le compte de griefs que nous avons accumulés, au cours de l'Histoire, contre nos voisins de l'Ouest, nous aurions vite conclu que cela doit être dû à une implacable fatalité: la trahison de Bocchus envers Jughurta a été si mal vécue par le peuple numide qu'elle a irrémédiablement marqué la langue berbère, conférant au vocable de «bocchus» le sens de félonie, de vilenie... La défection du roi du Maroc lors de la guerre de résistance d'Abd-El-Kader a été aussi douloureusement ressentie. L'épisode de l'avion royal marocain transportant des chefs du FLN détourné par les services secrets français a été interprété comme un autre coup de Jarnac. La guerre dite «des sables» fut la pire ignominie commise par le régime chérifien et le coup du Sahara occidental, commis avec la complicité de Paris et de Madrid, ne fut qu'un coup de poignard supplémentaire dans le dos de deux peuples frères. Est-ce un hasard si Abane Ramdane a été assassiné par les sbires des groupes de Tunis et d'Oujda? Cependant, le mal qui nous vient de l'Ouest n'est pas seulement politique (et là, je ne fais pas allusion au cannabis et autres modes par lesquelles notre voisin nous a contaminés): après la mystérieuse maladie du bayoudh qui a ravagé les palmeraies marocaines et qui poursuit inexorablement sa course vers l'Est algérien, voilà un nouveau fléau qui menace la forêt algérienne: le psylle. Cet insecte au nom barbare est une sorte de puce suceuse et piqueuse qui s'attaque aux feuilles des eucalyptus. Ce grand arbre aux feuilles persistantes est doué d'une croissance très rapide qui a favorisé son implantation d'abord dans les marécages (c'est un grand buveur d'eau) puis sur les talus qui bordent les routes. Il a deux faiblesses: il ne résiste pas aux vents violents, il est très inflammable et il abrite un insecte mystérieux qui raffole de ses feuilles à l'arôme puissant. Le psylle vient ainsi s'inviter dans une actualité déjà brûlante à cause des feux de forêts qui sont signalés ici et là et qui ajoutent leur ardeur à l'insupportable canicule qui accable hommes et bêtes. Il paraît que cet insecte de l'embranchement des arthropodes a été identifié d'abord en Australie, patrie de l'eucalyptus, et qu'il aurait accompagné cet arbre respectable comme les puces accompagnent les chiens. On peut alors se demander puisqu'il y a eu importation d'eucalyptus, pourquoi il n'y a pas eu aussi introduction de koalas, marsupial arboricole qui se nourrit de feuilles de certaines espèces de gommier. Si les kangourous étaient aussi de la partie, cela aurait évité à certains de nos malheureux compatriotes, qui n'ont pas trouvé ici où faire leur nid, d'attendre tous les jours sur la grève, le mythique «Babour Australia»... Mais, trêve de plaisanteries, la situation est sérieuse car la menace a été repérée du côté de la célèbre forêt de Baïnem qui est réputée abriter la plupart des liaisons dangereuses et des passions coupables de la région d'Alger. La forêt algérienne, dernier rempart à la désertification qui menace le pays, n'a vraiment pas besoin de ce danger supplémentaire, elle qui a connu tous les feux allumés par des mains malveillantes. Si les autorités chargées de la protection ne prennent pas des mesures draconiennes pour endiguer tous les maux qui frappent les bois de nos contrées (comme importer la punaise «Anthocoris Nemoralis» dont le plat favori est le psylle), nous verrons d'abord diminuer le nombre de maquisards dont les rangs ont été déjà sévèrement éclaircis par la Réconciliation nationale. Plus grave, nous verrons vite tous nos amoureux ou nos chasseurs de papillons devenir des harraga en puissance, aller chercher ailleurs, de l'autre côté, l'ombre fraîche et hospitalière des forêts de l'Europe. Et un pays sans amoureux, ce n'est plus un pays!