Un employé des impôts se dit victime d'un traquenard, d'une souricière. La loi parle, elle, d'un délit provoqué. C'est sûr? L'employé des impôts d'El Makaria (Alger) avait 26 ans d'ancienneté derrière lui. Et en 120 minutes, il a dû tenter d'adoucir son inculpation-corruption-appuyée d'un flagrant délit que Maître Abdelaziz Djedaâ, un de ses deux avocats avait désigné par un «délit provoqué». Un manège décrié par tous les défenseurs. L'agent de poursuite avait raconté, dans le détail, le véritable traquenard qu'il l'a vu être interpellé juste après qu'un commerçant qui devait au fisc plus de trois milliards de centimes, l'eut approché pour lui placer une enveloppe contenant la bagatelle de six millions de centimes et ce, dans la poche droite de la veste en cuir noir. Khaled Benyounès, le président de la section correctionnelle du tribunal de Hussein Dey (cour d'Alger), allait alors mener des débats clairs en posant d'excellentes questions dont une sera particulièrement intéressante pour la suite des débats, vite suivie d'une seconde qui donnera une réponse «tueuse» pour le détenu. «Comment s'est-il pris pour vous approcher et balancer l'enveloppe dans la poche? M.le président, je ne l'ai même pas vu s'approcher. Il a été si rapide dans l'action avant de s'évaporer dans la nature. J'ai cru avant qu'il s'amusait avec le papier, mais j'apprendrai par la suite qu'il s'était dirigé vers la sûreté urbaine ramener les policiers qui avaient sur eux des photocopies des billets qui se trouvaient dans ma poche... -Vous pratiquez un sport? demande soudain le magistrat qui allait sursauter lorsqu'il entendit le détenu répondre par l'affirmative avant de préciser: -le judo! -Eh ben! Vous pratiquez le judo et quelqu'un met sa main dans une de vos poches et vous ne réagissez pas? C'est curieux! Vous ne trouvez pas? à moins que vous vous attendiez à recevoir le pot-de-vin!» L'inculpé panique d'abord! Il venait de réaliser sa «gaffe». Il a choisi la plus mauvaise des réponses. Il panique parce qu'il sait que dans la salle d'audience, la famille est au grand complet, madame en tête. Et rien que d'y penser, c'est catastrophique. Heureusement, pour lui, son avocat, petit de taille et très grand par le talent, Maître Djedaâ, réparera les dégâts, plus tard, lors d'une admirable plaidoirie qui ne laissera pas indifférent Benyounès, encadré de deux jeunes magistrats stagiaires plus qu'attentifs. En face, Zahia Houari, la procureure, orpheline depuis le départ de la magnifique Nadia Amirouche qui a gagné en avancement vers les sommets locaux, elle, restera silencieuse jusqu'au moment où elle sera invitée par le juge à requérir. Elle demandera une peine de prison de trois ans d'emprisonnement ferme. Plaidant tour à tour, les deux conseils ont tout entrepris pour sauver les meubles de l'incendie «condamnation». Maître Bassem avait tourné autour de «zones d'ombre», relevées dans le dossier où nous avons la somme donnée par les policiers entre eux avant même qu'ils n'aient ouvert l'enveloppe. Donc, ils savaient, avait récité l'avocat avec son increvable accent du Moyen-Orient. Maître Djedaâ, lui, va faire mieux en avançant le grotesque argument de l'inculpation: «Demandez donc à n'importe quel initié de la corruption, il vous répondra que pour trois milliards et quelques millions de centimes, l'agent des impôts ne va pas à la potence pour quelques misérables millions de centimes. Le délit provoqué est aussi grotesque. Le doyen du barreau d'Alger achève son intervention sur un clin d'oeil lancé en direction de son client comme pour le rassurer, car entre-temps Benyounès avait annoncé la mise en examen du dossier juste de quoi éviter de décider précipitamment et donc marcher sur une peau de banane. Et les juges n'aiment pas trébucher!