La juge du mardi d'El Harrach n'a pas voulu savoir lequel des deux adversaires a commencé les coups. Deux jeunes se battent le jour de l'Aïd el Kebir. Cela constitue déjà une catastrophe, car on n'a pas idée de se bagarrer un jour de fête. La seconde catastrophe, c'est le témoignage bancal du voisin qui a vu la victime frapper la première, mais qui ne saurait dire qui tenait le gourdin ni même préciser le nom de celui des deux bagarreurs qui a perdu du sang. «Comment cela! vous êtes témoin et vous êtes incapable d'éclairer le tribunal d'une manière précise?», s'inquiète Selma Bedri, la vivifiante juge d'El Harrach (cour d'Alger). Devant le témoignage «handicapant» les débats, la présidente se tourne vers les deux antagonistes. «Ne me dites surtout pas que les coups sont partis à la même seconde!», tonne-t-elle voulant à tout prix aller vers soit la légitime défense, soit la provocation. Elle ira jusqu'à expliquer que dans les annales de la justice, dans le cas d'une rixe, il y a toujours quelqu'un qui se lance dans le bain, souvent de sang sans avoir calculé son attaqué. Et ce n'est pas toujours celui qu'on croit avoir été l'auteur de la rixe... Eloquente intervention, juré. Maître Fadhila Bouchaâlal regrette que les jours de l'Aïd aient été gâchés par la bêtise, par les insultes, les mots blessants, les grossièretés. «A vingt-deux ans, mon client au casier vierge se trouve à la barre tentant de fixer le tribunal sur ce qui s'est passé, un traumatisme cervical profond, voilà la grave blessure récoltée à la suite de la bêtise d'un second coup par acharnement. Cinq jours d'hospitalisation, de l'inquiétude des familles pour ces graves faits». Puis l'avocate s'asseoit, mais juste avant, elle va demander des dommages (cent mille dinars) et va jusqu'à une expertise médicale, de quoi préserver les droits de la victime que la loi protège. Fethia Benghanem, la procureure, qui avait bien suivi, balance: «Trois ans de prison ferme». La magistrate, elle, était probablement en train d'achever de prendre note de la longue plaidoirie de Maître Benchaâlal, qui n'était pas allé de main morte surtout qu'elle savait que son aîné d'adversaire, Maître Fathi, allait plaider en dernier et donc pouvoir «labourer» à loisir le terrain dans tous les sens. Et sens dessus dessous, SVP! Car ce défenseur adore aller au fond, en puissance et sans craindre personne, oui personne! Maître Fathi, l'avocat de l'inculpé, veut voir de près le gourdin qui a servi d'arme blanche. Après avoir repris les causes de ce grave dossier, l'avocat, cet ardent élève de Maître Mostefa Bouchachi, s'appuiera sur l'absence du second témoin dont il reprend de longs passages autour de son témoignage lors de l'enquête. «Mon client aussi a cinq jours d'incapacité, aussi un arrêt de travail i-e pour coups et blessures volontaires donnés par l'adversaire». Le tribunal a voulu savoir qui a commencé à donner des coups. La défense de l'inculpé va l'aider: «C'est la victime qui a ouvert les hostilités», avait plaidé l'avocat qui a informé que son client est plutôt victime et donc la relaxe doit être prononcée. Il faut dire que le défenseur brun a pris fait et cause pour son client qu'il plaint pour sa longue détention préventive (deux semaines tout rond!) et donc qu'il est lésé dans ses droits. Il est vrai que les deux voisins avaient eu une occasion en or de laisser passer l'orage, en revenant vers le mouton égorgé, continuer la fête et éviter les ennuis. «Non, ils ont préféré se prendre à la gorge et aller au-devant des désagréments condamnables. Il y a eu des coups, un gourdin, des blessures, une hospitalisation. Vous avez certes un inculpé de coups et blessures qui a lui aussi eu sa part de raclée. Le tribunal avait tout entrepris pour situer la responsabilité et nous sommes persuadés qu'il a trouvé qui a fait quoi et avec qui», avait balancé l'avocat d'Alger qui n'était pas monté à El Harrach en touriste. Loin de là, car visiblement il a réussi à capter l'attention de Bedri, victime d'un léger rhume qui ne l'a pas empêchée d'avancer sur le terrain miné par les déclarations qui s'était entrechoquées et le plus visiblement possible. Pour achever cette chronique sur un bon «coup», disons tout simplement que les rixes, les coups et blessures volontaires réciproques, ceux donnés et reçus, sont mal perçus surtout au niveau de l'instruction, d'autant que certains juges d'instruction, sont de véritables «esclaves» du certificat médical rédigé sur le «descriptif», lui-même rédigé aux urgences sous la dictée des... victimes! Un comble à aborder par le législateur...