«La propreté embellit l'opulence et déguise la misère.» Rivarol Le bus venait d'amorcer l'ultime montée qui devait amener l'employé vers sa destination finale: «Ici, pensa-t-il, on respire un autre air!». C'était comme s'il avait changé de pays ou de civilisation! Les trottoirs étaient nets, il y avait de nombreux agents de police autour du rond-point et une lumière inhabituelle inondait la vaste pelouse étalée devant les façades de deux grandes institutions. Ceci explique peut-être cela. Même les gens ont l'air d'avoir un autre comportement: ici les gens ne sortent pas se promener avec des qamis ou des gandouras à l'égyptienne ou des ensembles à la pakistanaise, pas plus qu'ils ne trainent des tongs comme des gens désoeuvrés. Cela le change beaucoup du bantoustan ou du township d'où il vient. Là-bas, un triste spectacle s'offre chaque matin aux yeux bouffis de ceux qui n'ont pas assez dormi: des ordures de toutes sortes jonchent le trottoir et le caniveau. Le soleil ardent met à nu l'état de saleté des lieux. Les commerçants, qui n'avaient pas encore ouvert boutique, ne prennent plus la peine de nettoyer devant leur porte: ils avaient l'habitude de balayer devant leur porte et de pousser les ordures vers le caniveau. Maintenant, ils se contentent de pousser les ordures abandonnées par des clients qui ne pensent qu'à la chorba qu'ils vont avaler plus tard. Les balayeurs municipaux continueront peut-être le reste du travail quand il leur arrivait de passer par là, ou bien il faudra attendre la prochaine pluie qui emportera les immondices vers le prochain avaloir bouché. D'ailleurs, les agents préposés au nettoiement des rues n'arrivent plus à suivre le rythme de la consommation et même les commerçants ne balayent plus: cela encourage les gamins à venir s'installer sur les trottoirs pour vendre des cigarettes, des pétards, de la chique artisanale et mille autres objets d'origine douteuse. Personne ne trouvait à redire. Les ordures s'accumulaient, papiers, cartons, sacs en plastique... L'emballage plastique devient un sérieux problème: après les tarawih, les gens ont pris la fâcheuse habitude de consommer dans la rue de l'eau minérale ou du café: ils jettent les emballages sur les trottoirs. Et la situation ne fait que s'aggraver: la cité va se retrouver envahie par les immondices à cause d'un week-end très prolongé lié au congé de l'Aïd el Fitr. Seule la prochaine visite d'une autorité quelconque poussera les responsables municipaux à donner un coup de balai ou à laver à grande eau comme ils ont l'habitude de le faire à la veille de chaque inauguration. Quand c'est une grosse légume qui se hasarde à s'aventurer par ici (et c'est rare), ce sont les murs lépreux livrés à une armée de peintres improvisés qui, en quelques jours, vont donner un autre aspect à ce quartier abandonné. Puis, après la visite officielle, tout redeviendra comme avant. Les jeunes réinvestissent les trottoirs et les policiers qui, quelques jours plus tôt, leur menaient une chasse sans merci, les regardaient à présent d'un oeil affable. A côté du domicile de ses parents, il y a un quartier appelé «Sidi-M'hamed» qui semble situé hors de tout critère urbanistique: la rue zébrée de dos-d'âne, le stationnement anarchique et les commerçants installés barricadent des portions de rue avec tous les objets possibles et imaginables: tréteaux, sacs de gravats, blocs de ciment... Ici au moins, les trottoirs sont refaits chaque année. Chaque saison voit des ouvriers décontractés desceller les pavés, les remplacer par des carreaux d'une grande dimension. Avant même que cela ne soit achevé, un autre chantier s'installe à l'autre bout de la rue et ici les différents services qui interviennent (eaux, téléphone, électricité) n'ont pas intérêt à laisser leur chantier inachevé comme il est courant de le constater dans certains quartiers défavorisés où les chaussées sont défoncées et déformées par des intervenants trop pressés. Il est rassurant de constater qu'il y a quand même des quartiers où les édiles sont vigilants.