«Qu'avons-nous fait de nos révolutions?» s'est demandé jeudi soir l'invité d'honneur de l'Aarc dans le cadre d'un coup de projecteur sur la littérature sud-africaine. Breyten Breytenbach, né le 16 septembre 1939 à Bonnieval, province du Cap, est un poète, écrivain, dramaturge, peintre et aquarelliste sud-africain d'origine et citoyen français, qui écrit tant dans sa langue maternelle (l'afrikaans) qu'en anglais. Témoin indigné de la politique raciale de son pays, il refusa l'Apartheid (La Gangrène, 1970). Emprisonné de 1975 à 1982, il a relaté cette expérience dans ses nombreux poèmes. Il dut s'exiler et vit aujourd'hui au Sénégal. Il put retourner en Afrique du Sud avec la chute du régime d'apartheid, en 1994. Depuis, il partage son temps entre les Etats-Unis, la France, le Sénégal, où il dirige le Gorée Institute, installé sur l'ancienne île aux esclaves et son pays natal où il enseigne, publie et donne à voir des pièces de théâtre controversées sur la nation arc-en-ciel. Il a fait partie en 2003 de l'aventure d'Ecrivains des frontières, film documentaire de Samir Abdellah et José Reynès. Suite à l'appel du poète palestinien Mahmoud Darwich, une délégation d'écrivains avait entrepris un voyage en Palestine pour protester contre l'encerclement de Arafat. Dans une lettre ouverte au général Sharon (Carnets d'un retour de Palestine), il écrit:«Aucune référence à quelque sacro-saint Grand Israël ne peut dissimuler que vos colonies sont des enclaves armées construites sur une terre effrontément volée aux Palestiniens et qui suppurent comme des morceaux de verre plantés dans leur chair, ou des nids de snippers dont le but est de contrecarrer et d'annuler toute possibilité de paix par une annihilation de l'autre, comme il n'existe aucun paradis pour les martyrs.» Une lettre forte et puissante pour laquelle il a été taxé d'antisémite et de «politique idiot». L'humaniste Breyten Breytenbach, qui a été chassé pour ses idées de l'Afrique du Sud à ses débuts, emprisonné et torturé, a prôné lors de sa rencontre au Sila, organisée par l'Aarc jeudi dernier, la paix et l'échange interculturel basé sur une profonde connaissance de l'autre et de soi. En somme, une autre façon de se battre que par les armes. Lui, qui écrivit un jour à Nelson Mandela pour dire ce qui ne va pas en Afrique du Sud, fera remarquer de sa voix solennelle, pleine de sérénité les similitudes de nos deux pays respectifs, l'Algérie et l'Afrique du Sud. Deux pays qui se sont forgés dans la lutte pour lindépendance avant de prendre des voies différentes a t-il souligné. «De cette liberté acquise on a encore du mal aujourd'hui à supporter critiques..», dira t-il. Et d'ajouter: «Nous sommes taraudés de la même manière par un certain abus de pouvoir.» Le poète sud-africain a appelé aussi à la création d'une «commission culturelle bipartite, débarrassée des lourdeurs administratives», pour rapprocher les hommes de culture sud-africains et algériens. L'appel de l'intellectuel sud-africain s'appuie, selon lui, sur la «ressemblance frappante entre nos deux peuples». Breyten Breytenbach réitéra sa volonté de nous connaître mieux dans le respect de l'échange culturel pour mieux se comprendre.. Arrivé aujourd'hui à l'âge de la sagesse, l'écrivain confiera ne pas croire à une conscience unique tout en plaidant pour le changement car souligne t-il: «On meurt car on a trop accumulé de soi-même. Si l'on ne s'allège pas en partageant, on arrivera à un point où l'on est piégé par soi-même.» A propos du Gorée Institute, destinée au «renforcement de la démocratisation en Afrique», Breyten Breytenbach expliquera que cela doit se faire en activant notre imagination pour que les jeunes puissent trouver des repères et n'aient plus envie de quitter le continent. Cet institut devra renforcer les capacités de la société civile à s'organiser et pallier à ses faiblesse». Evoquant le Printemps arabe, il dira: «On est en train de se réveiller. Il ne faut pas continuer à vivre avec le seul espoir de partir ou en imitant les autres. Mais il y a d'autres formes de révoltes. On a effectivement des raisons de s'affirmer contre notre part sombre de nous mêmes car ce qui fait la particularité de l'humanité, outre son opacité, sa volonté de s'imaginer mieux que nous sommes». Aussi, face aux manifestations et autres guérillas, l'auteur pacifiste plaide pour la réflexion et la communication entre les peuples de façon à savoir non pas comment faire pour mobiliser les jeunes mais de ne pas les manipuler et trouver par quel autre moyen. «On ne peut pas continuer à vivre ensemble sans se poser la question sur ce qui nous unit et nous différencie. A qui appartient l'Afrique? Pour quelle banque et un intérêt pour qui? qui décide? que peut-on imaginer pour faire différemment? Il faut avoir conscience de notre richesse et notre diversité et apprendre à gérer seule nos besoins. C'est ce qu'on appelle la modernité africaine». Evoquant l'utilité de la poésie tout en rappelant que l'humanité est en état d'urgence comme le disait Mahmoud Darwich, l'artiste sud-africain fera longuement l'éloge de celui qui fut son ami et qui «a continué à écrire et à vivre et garder espoir sans se complaire de la puissance qu'il avait car il optait pour le dialogue». S'agissant de la frivolité des Usa à reconnaître l'Etat palestinien, Breyten Breytenbach dira à juste titre que «cela devrait détruire leur crédibilité morale». Et de s'interroger: «Peut-on promouvoir la démocratie sans cela?» Et d'ajouter: «Il faut mettre les puissances étrangères devant leur mensonge et leur sens d'incohérence morale, la France incluse». Et de conclure: «Qu'avons-nous fait de nos révolutions? On est condamnés à nous imaginer et nous reconstruire, d'aller à une nécessité de ce qui est meilleur pour nous.»