En partie élégiaque, en partie méditation (sur la vie et la mort), mais aussi dialogue d'outre-tombe, le recueil de douze poèmes de Breyten Breytenbach, intitulé Outre-voix/Voice over est surtout un hommage au poète de langue arabe Mahmoud Darwich, aujourd'hui disparu. Brutalement arraché à la vie il y a deux ans, au cours d'une opération à cœur ouvert dans un hôpital de Houston (Texas), le Palestinien Darwich fut aussi un ami cher que le Sud-Africain avait rencontré pour la première fois lors d'un festival de poésie à Rotterdam. Depuis, les deux poètes ont entretenu à travers les contingences de la vie un dialogue riche et poétique, nourri de leurs expériences communes d'écrivains politiques et subversifs qui ont fait de l'imagination l'arme miraculeuse pour la libération de leurs peuples, sud-africain et palestinien respectivement. Dans les pages d'Outre-voix/Voice over où paroles et souffles s'entremêlent, le dialogue se poursuit par-delà de la mort car les poètes s'étaient fait le serment de continuer vaille que vaille: «N'oublie jamais/si je devais mourir avant toi/je te charge de l'impossible...». Cette mission de poursuivre l'impossible incombe, aujourd'hui, au Sud-Africain qui explique dans la postface de son opuscule le sens de son œuvre : «Immédiatement après son décès (celui du Palestinien), j'ai commencé cette série de poèmes, comme des fragments de la conversation que je poursuivais avec lui. (...). Le voyage continue et le dialogue se poursuivra afin de chercher Mahmoud Darwich entre les mots.» En hommage à l'œuvre du troubadour Darwich C'est Breytenbach lui-même qui donne les clefs de ce mince recueil d'une soixantaine de pages qu'il qualifie de «collage» ou encore de «variations» de l'œuvre du troubadour palestinien. L'objectif est de faire entendre la parole très particulière du poète disparu, cette parole poétique qui a fait de la Palestine sa métaphore fondamentale et du désespoir l'horizon d'attente de son peuple égaré dans le désert de l'histoire. «Ecris : Arabe/ écris : Palestinien/écris : Afrikaner/écris : humain aussi», chante le Sud-Africain, faisant écho au célèbre poème du Palestinien Inscris! Je suis arabe, poème qui sonne aujourd'hui encore comme une injonction dans les mémoires et les imaginaires des Arabes écrasés, damnés par les anciens comme les nouveaux ordres mondiaux. Les douze poèmes du recueil renvoient aussi aux thèmes chers au disparu : la réflexion sur la mort («cette mort n'a aucune signification !/C'est une farce ! Nos sens un cloaque !/Je refuse de croire que j'ai été berné/Peut-être suis-je dans l'entre-deux/Un dormeur à la retraite/en vacances dans la vie »), l'identité («l'identité est un dialogue, Mahmoud/lorsqu'on entend comme dans un rêve/ l'autre parler/et que l'on comprend/existe (...)/ cette terre est plus petite, plus noire, plus silencieuse/que le sang de ses enfants. » «La terre nous est étroite, écrivait Darwich. Elle nous accule dans le dernier défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer.» Métissage de la Palestine et de l'Afrique du Sud Enfin, ce qui fait réellement la force de ce recueil, c'est son métissage réussi. Métissage de la Palestine et de l'Afrique du Sud, deux pays séparés par la géographie et réunis par leur statut emblématique de la condition postcoloniale. Métissage aussi des langues et des images empruntées aux traditions afrikaans, langue dans laquelle le recueil a été initialement composé, avant d'être traduit en anglais par l'auteur lui-même. Il ne s'agit pas de traduction à proprement parler, a expliqué Breytenbach. «La version anglaise a jailli de mes tentatives en afrikaans, avec pour objectif de faciliter un dialogue entre les deux langues. (...). Par moments, une association d'idées avec les possibilités offertes par l'anglais m'a ouvert de nouvelles pistes en afrikaans.» Ce va-et-vient incessant et fécond entre pays, cultures, sensibilités et voix est aussi ce qui fonde l'œuvre de Breytenbach, une œuvre éminemment originale et protéiforme qui n'a pas son pareil dans la littérature sud-africaine contemporaine. Outre-voix/Voice over, par Breyten Breytenbach. Traduit de l'afrikaans par George Lory. Edition Actes Sud, 74 pages, 13 euros.