Littérature africaine dans la tourmente «l'Afrique dans l'édition algérienne» est le thème débattu vendredi dernier entre differents invités algériens et d'ailleurs. Placé cette année sous le slogan «Lettres d'un continent», l'Esprit Panaf est reconduit cette année au Sila, bien que l'on ait observé que son stand a rétréci. Si le ministère de la Culture a eu la judicieuse idée lors du Festival panafricain de 2009 d'éditer plusieurs ouvrages venus d'Afrique, il ne faut pas s'arrêter là. Un constat partagé par l'ensemble des invités réunis vendredi dernier au niveau du Sila. Minée par la concurrence déloyale de l'édition européenne et cette politique du plus fort, la littérature africaine peine encore aujourd'hui à trouver sa place, du moins à être suffisamment diffusée dans le monde. L'idée de débattre sur les moyens et solutions à même de connaître comment construire ensemble un marché du livre en Afrique s'est imposée de facto. La rencontre thématique du 23 novembre dernier a eu à débattre justement de «l'Afrique dans l'édition algérienne». Plusieurs regards croisés ont été posés, partant des perspectives professionnelles et individuelles de chacun des invités. Modérée par Rachida Moncef, professeure à l'université et chroniqueuse littéraire à la Radio algérienne, Chaîne III, cette rencontre a regroupé plusieurs intervenants dont M.Benadouia Lebday spécialiste en littérature africaine, et professeur d'université en France, mais aussi Marcelin Vounda Etoa, critique littéraire et directeur des éditions Clé, enseigne la littérature française à l'université de Yaoundé I au Cameroun. «Il s'agira de rassembler des invités pour prouver que l'Algérie devrait être, - elle l'est un peu mais elle devrait l'être davantage -, la plaque tournante des éditions du continent. La politique de la littérature, qui devrait en sortir en synthèse, serait de dire qu'on en a marre que nos éditeurs africains éditent ailleurs, au-delà des frontières et qu'ils soient mis dans des moules tenus un peu au chantage. Pourquoi pas l'Algérie? Et la plupart des éditeurs sont d'accord pour cette idée géniale qui pourrait peut-être induire à l'installation d' antennes à nos éditeurs qu'ils soient privé ou nationaux, ils pourraient avoir des antennes ou représentants dans les pays du continent pour se rapprocher des auteurs», a fait remarquer Nariman Saâdouni, responsable du stand Esprit Panaf. Evoquant son expérience dans ce domaine, Marcelin Vounda Etoa dira que sa maison d'édition Clé est la première dans toute l'Afrique francophone au sud du Sahara. Elle a été fondée en 1963. «C'est ma première participation à ce salon que je trouve impressionnant par le nombre de stands et de visiteurs. Je suis estomaqué par ce que je découvre», indiquera-t-il en substance avant de souligner: «Vu ma position, c'est-à-dire l'Afrique au sud du Sahara, il est extrêmement difficile de faire circuler les livres d'une partie à une autre de l'Afrique et encore difficile de faire circuler les livres produits sur le continent en direction de la France, des anciennes métropoles coloniales. Ce que l'Algérie a fait au dernier Panaf est une initiative excellente, c'est d'avoir acheté les droits de plusieurs oeuvres écrites par des écrivains d'Afrique du sud du Sahara et qui, pour la plupart, n'étaient pas connus, du lectorat algérien. Ils ont acheté les droits et produits des éditions algériennes de ces oeuvres-là. J'ai eu la chance et le privilège de rencontrer en 2009 en Italie, à Bologne, le directeur des éditions Chihab qui m'a acheté les droits de deux ouvrages dans le but de vulgariser ces fables écrites par des auteurs camerounais, qui ne sont pas connus en France car ils ont été publiés localement. Tout le problème quand on publie en Afrique est que nous n' arrivons pas à diffuser les oeuvres que nous publions. Il n'y a pas toute la promotion qui accompagne les oeuvres produites en France.» Pour Marcelin Vounda Etoa, les éditions Clé avaient pour but de «rétablir la vision des Africains restés sur le continent et qui ont de moins en moins l'occasion de se faire publier en France». De passage à cette rencontre et invitée à prendre la parole, l'écrivaine Maissa Bey qui récuse l'idée de catégorisation des littératures, a fortiori la sienne, en la mettant dans la case de «la littérature féminine algérienne d'expression française» dira qu'avant, ces littératures répondaient à des attentes autres qu'aujourd'hui. «On s'attendait à ce qu'ils parlent d'exotisme et certains auteurs ont délibérément joué le jeu. Aujourd'hui on tend à s'affranchir de cette ghettoïsation». Etiquetage et éloignement Pour M.Lebdaï Benaouda certains écrivains africains de la diaspora rejettent cet étiquetage, notamment Nina Bouraoui qui s y oppose de façon frontale. «Il existe aujourd'hui énormément de co-éditions britanniques ou françaises car certains éditeurs qui sont attirés par le gain ont compris l'importance de cette littérature africaine et son intérêt pour certains lectorats», soutient-il. Et de faire remarquer: «Si les dictatures n 'ont pas permis à certains auteurs de s'exprimer, il faut saluer les éditeurs comme L'harmattan, Maspéro et Le Seuil qui ont donné la parole à certains écrivains.» Des cloisonnements et confinements ont induit, selon lui, paradoxalement cette inéducable envie de libération. Pour Maïssa Bey, si la littérature africaine est enseignée dans les universités, cela ne suffit pas car elle devrait, selon elle, l'être d'abord dans les écoles et les collèges. Solution et perspectives Maissa Bey, qui évoque le repli sur soi dans notre société, prônera l'acceptation de l'autre en allant vers plus d'ouverture. L'inégalité du marché du livre provient de cette incapacité de s'ouvrir sur l'autre, nous fera-t-on remarquer. Rencontré la veille, le malien Ismaïlia Samba Traoré ancien directeur de l'Union des écrivains maliens (entre 1984-1988) et l'Union des poètes et écrivains d'Afrique, dira être touché par cette initiative Esprit Panaf. «Nous sommes au coeur d'une logique à laquelle nous sommes confrontés, à savoir mettre ensemble, fédérer de façon à ce que les synergies de l'intégration puissent vraiment être impulsées par les hommes, les écrivains et les éditeurs. Le panafricanisme se doit d'être impulsé non seulement par les politiques mais également par les hommes qui font la culture dans le pays. Je suis content de revenir à Alger que je connais un peu. Je suis venu en 2007 où j'ai pris part à deux opérations, une avec l'université de Blida et l'autre à Tamanrasset. Il s'est établi beaucoup d'échanges avec les étudiants. J'ai tellement aimé Alger que je l'ai mise comme trame de l'histoire que j'étais en train d'écrire et ce livre vient de sortir, il s'appelle, Retours au Mali. Certains personnages sont campés dans la ville d'Alger. Ce livre vient de sortir en septembre..» Ismaïlia Samba Traoré nous confiera également ses attentes de par ce salon. «J'attends de ce salon beaucoup de rencontres professionnelles. Nous sommes dans des exigences du monde, la mondialisation et la professionnalisation n'est pas uniquement affaire d'équipement mais de mise en réseau. De collaboration, de coédition, de coproduction, d'échange afin que chacun profite des stratégie de l'autre, à ce moment-là nous pourrons fédérer les énergies et travailler ensemble. J'attends de ce salon que les différents acteurs nous aident à rester ensemble et travailler ensemble à l'avenir.» Nos intellectuels africains seront-ils entendus?