Mahmoud Jibril, numéro deux libéral du Conseil national de transition (CNT), où il fait face à une opposition islamiste, a annoncé qu'il ne ferait pas partie du prochain gouvernement, mettant à jour les luttes de pouvoir au sein du nouveau régime libyen. Après une campagne menée depuis plusieurs semaines par les islamistes contre M. Jibril, qui fait office de Premier ministre, ce dernier a créé la surprise jeudi soir en déclarant qu'il prévoyait de se retirer. Pour Ouahid Berchan, un proche des islamistes à la tête du Conseil régional de Gharyane, « les islamistes ont réussi à éloigner Jibril, c'est maintenant au CNT de diriger la suite des opérations en formant un gouvernement qui représente vraiment toute la Libye ». M. Jibril a été souvent accusé, en particulier par les islamistes, de multiplier les déplacements à l'étranger au détriment du travail de terrain. Les islamistes, qui bénéficient d'un soutien grandissant en Libye depuis le début de la révolte populaire contre Mouammar Kadhafi en février, se présentent sous un visage modéré et se disent prêts à partager le pouvoir dans le cadre d'un Etat démocratique. Le chef du CNT, Moustafa Abdeljalil, n'a cessé de répéter que même si l'islam devait être la principale source de la législation en Libye, le pays n'accepterait aucun extrémisme. L'un des responsables islamistes libyens, Cheikh Ali Sallabi, qui a le soutien du Qatar et qui a financé et armé une bonne partie des combattants anti-Kadhafi, a cependant récemment vivement attaqué M. Jibril, l'accusant de jeter les bases d'un Etat totalitaire. Cette attaque ne semblait toutefois pas motivée par l'idéologie de M. Jibril mais par sa gestion des affaires publiques. Cheikh Sallabi lui a ainsi reproché d'avoir placé Tarhouni en charge du Pétrole, aux dépens de cadres ayant de l'expérience pour gérer « ce gagne-pain des Libyens ». « Les dissensions entre les islamistes et Jibril n'ont pas encore atteint le stade du conflit », a cependant estimé Bachir Zoubiyah, un auteur de tendance libérale. « Les islamistes veulent s'implanter dans l'arène politique » et accueillent « des modérés parmi eux, surtout issus des Frères musulmans, une force qu'on ne peut pas ignorer », explique-t-il, assurant que les Libyens « n'accepteront pas l'épouvantail radical islamiste ». Ibrahim Grada, qui dirige la Conférence nationale de l'opposition libyenne et le Forum libyen amazigh (berbère), tous deux de tendance libérale, estime que le numéro 2 du CNT a commis des erreurs. « Sa façon de communiquer avec les gens n'était pas équilibrée », au détriment de ceux sur le terrain, juge-t-il. Mais le départ annoncé de M. Jibril ne devrait pas intervenir dans l'immédiat. Le CNT a renoncé mardi à former un gouvernement de transition avant que tout le pays soit libéré, à la suite de plusieurs réunions qui n'ont pas permis de surmonter les divergences. Or, les forces fidèles à Mouammar Kadhafi opposent toujours une résistance farouche dans quelques bastions. Le 8 septembre, M. Jibril avait mis en garde contre des luttes politiques internes prématurées, appelant les Libyens à l'unité. « Certains se sont jetés dans la bataille politique sans respecter de règles alors qu'on n'a pas encore élaboré de charte nationale », avait-il regretté. Un haut responsable du CNT a toutefois jugé, sous couvert de l'anonymat, que le problème n'était "pas entre laïcs et islamistes », estimant que M. Jibril cherchait à « présenter les choses comme cela aux yeux du monde ». « La bataille se joue entre ceux qui sont nationalistes et les autres. Les premiers n'ont pas d'agenda personnel mais veulent participer à la libération du pays, les autres ne s'y sont ralliés que pour leurs intérêts personnels. Jibril se situe dans la deuxième catégorie », a-t-il ajouté.