Ils attendent un train qui n'arrivera pas La grève des cheminots déclenchée dimanche dernier complique la mobilité des citoyens. L'anarchie règne en maître. Une simple grève est c'est la grande débandade... C'est le cas ces derniers jours avec les transports publics. En effet, la grève des cheminots, déclenchée dimanche par les travailleurs de la région d'Alger, a eu comme dommage collatéral de créer une forte pagaille au niveau des arrêts de bus, lequels ont dû combler le «vide» laissé par les trains. Mais au lieu de jouer le jeu et de tout faire pour faciliter les choses, les transporteurs (bus privés) en ont profité pour dicter leur loi! Quand le train n'est pas là, le chauffeur de bus se transforme en sangsue... Un petit tour à la gare routière du 2-Mai 1956 à Alger, (ex-Champ de manoeuvres) aux heures de pointe et vous aurez droit au «remake» du célèbre film Carnaval fi dechra en version «transporteurs privés». Les lignes les plus touchées sont celles qui desservent la banlieue Est d'Alger (Caroubier, Cinq-Maisons, Bab Ezzouar, Hamiz, Rouïba, Réghaïa... et même jusqu'à Boumerdès), étant donné que ce sont ces zones qui ont l'habitude d'être desservies par les trains. «Cela fait plus de deux heures que je suis là à attendre désespérément qu'un bus respecte la loi en daignant marquer son arrêt réglementaire, en vain...», nous a confié Samira, une jeune maman désespérée, qui tenait fermement son fils de 4 ans, épuisé par l'attente. «Regardez la pègre», nous fait t-elle avec un signe du doigt. «Ils s'arrêtent au loin en pleine route, avant même d'arriver à la gare routière pour faire descendre leurs passagers et en prendre d'autres», atteste-t-elle avec colère. «Et c'est seulement s'il reste un millimètre inoccupé dans leur bus qu'ils font l'effort de rentrer en gare en proposant un quart de place dans une arène où des dizaines de personnes se battent pour avoir le privilège d'être entassés dans un tas de ferraille...!», ajoute-t-elle ironiquement, une façon pour elle de décompresser. Il est vrai que la plupart de ces bus ne marquaient pas d'arrêt à la station de l'ex-Champ de manoeuvres. Et ils étaient des dizaines comme Samira à attendre désespérément sur les quais qu'un miracle se produise...Les plus malins s'étaient entassés à l'entrée de la gare routière, à l'endroit que la jeune maman nous a indiqué, créant ainsi un arrêt de bus parallèle. La majorité des transporteurs, pour ne pas dire tous, qui en temps normal desservent toutes les lignes Est d'Alger (avec un arrêt dans chaque ville) ont changé d'itinéraire au profit des lignes directes (Rouiba, Reghaïa, Boudouaou, Boumerdès). «Je suis outré par ce manque de considération des transporteurs envers les citoyens. Leur seul souci c'est le gain», dénonce Madjid. «Regardez ces minibus, ils ne sont pas censés prendre l'autoroute directement pour Rouiba et ses alentours ils doivent desservir toute la banlieue Est. Ce n'est que les grands V8 de Sonacome qui ont ces lignes directes. Malheureusement, vous voyez de vos propres yeux...Ils refusent de nous transporter!», explique-t-il furieux. «A chaque grève des cheminots, c'est la même chose», précise t-il. «Voyant la demande augmenter pour Rouiba et ses alentours, ils se mettent tous hors la loi, car ça les fatigue moins et ça leur fait faire plus de voyages étant donné qu'ils prennent directement l'autoroute, donc le choix est facile pour eux: moins de travail et plus de gain», rétorque-t-il. «J'habite au Hamiz et aucun de ces pseudos transporteurs ne veut respecter la loi et nous emmener. Je me suis résolu à prendre à mon tour le bus vers Rouiba et me débrouiller ensuite pour rejoindre mon domicile», peste pour sa part Kamel, un autre citoyen pris au piège. Hommes et femmes sont coincés. «Prendre un taxi? Les pauvres n'ont pas les moyens de le faire sinon ils n'attendraient pas ici pendant des heures. Cela renseigne sur la moralité de la société qui n'est attirée que par l'appât du gain...», s'indigne Kamel. Il tient à signaler qu'il reste quelques-uns de ces transporteurs qui ont encore une conscience. «Il y a une poignée qui n'ont pas changé leurs itinéraires. Ils sont rares et insuffisants pour transporter tout ce beau monde», assure-t-il. D'ailleurs, à ce propos Kamel affirme que ces transporteurs «honnêtes» paient pour les autres. Pour confirmer ses dires, il rapporte le témoignage d'un chauffeur. «Ce chauffeur m'a expliqué qu'à cause de la pagaille créée par ses confrères, les transporteurs qui refusent comme lui de tomber dans l'appât du gain facile ont vu leurs bus endommagés par les citoyens furieux qui se battaient pour avoir une place. Ils se retrouvent donc devant un dilemme: soit faire comme leurs collègues ou ne pas travailler du tout pendant cette grève afin de préserver leurs bus», relate-t-il. Dans le registre anecdotique, il y a également ce comportement des plus regrettables que nous raconte Samy, un autre citoyen, qui essayait de prendre son mal en patience. «Ce matin, quand je venais de Rouiba, j'ai vu une scène qui, le moins que l'on puisse dire, m'a choqué!», dit-il scandalisé. Les receveurs n'hésitent pas à faire descendre les voyageurs pour les caser dans un autre bus prenant la même destination. Le premier bus rebrousse chemin pour faire monter d'autres clients. «Je me demande alors ce qui se passe. Les passages me répondent qu'il leur a été signifié que le bus n'allait finalement pas continuer son chemin jusqu'à Alger et qu'ils devaient prendre un autre bus qui les emmènerait à destination», narre-t-il. «En fait le receveur m'explique que c'est devenu une pratique courante. Les bus font demi-tour à partir de la gare routière du Caroubier. Ils font ainsi un autre voyage sans avoir besoin d'attendre à l'arrêt de bus de l'ex-Champ de manoeuvres», s'insurge-t-il. «Je suis encore sous le choc. Ils ont tendance à oublier que nous ne sommes pas du bétail», peste-t-il. Pour Mouna, qui est fonctionnaire de son état, cette apocalyptique journée n'est qu'un condensé du traitement que réservent les transporteurs privés aux citoyens. «C'est un calvaire quotidien. Ils nous embarquent dans leurs bus sans aucun respect des normes. Ils m'arrivent de pleurer à la maison après un voyage en bus. Mais que voulez-vous? On n'a pas le choix», révèle-t-elle. «Où sont les autorités, où est le ministère des Transports?» se demande-t-elle. «Pourquoi laissent-ils faire ces charlatans sans foi ni loi. Il est temps de prendre ses responsabilités», dit-elle. Ils est donc 18h30 à la gare routière du 2-Mai-1956, plusieurs personnes, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, attendent sur les quais jusqu'à la nuit tombée en priant qu'un bus vienne mettre fin à leur supplice... En attendant, la grève des cheminots continue et touche d'autre régions du pays, comme l'Ouest.