Cet être est considéré souvent comme singulier et rigidement structuré, subissant son destin, face au statut élogieux de l'homme par son égocentrisme et sa soif d'autorité comme étant le pilier fondamental. Mais grâce à l'évolution de la pensée, les mentalités ont subi un séisme provoquant une nouvelle dynamique des valeurs intellectuelles et morales. La femme s'est alors profondément intégrée dans tous les domaines de la vie nationale. La femme algérienne, de par son inlassable combat, a acquis un espace qui lui était il y a quelque temps restreint et quelquefois inaccessible à un certain degré. C'est ainsi qu'une insoupçonnable émergence de la gent féminine intellectuelle a su briser les tabous qui lui imposaient jadis des attitudes de résignation passive. Nous citerons Taos Amrouche, Assia Djebar, Malika Mokeddem, Salima Ghezali, Nadia Benmouhoub et bien d'autres. Il y aussi Zoubeida Mameria puisque c'est d'elle qu'il est question dans cet article, que nous avons rencontrée à l'occasion d'un débat autour de ses oeuvres. En personne habile à l'oral, elle étala avec tact le fruit de ses pensées, un fruit aux multiples saveurs tant son exposé sentait cette hargne à vouloir faire changer quelque chose. Du recueil de «fragments d'histoire et brins de croyance»au roman «Voyage au bout du délire»,une cascade de témoignages poignants ne pouvait laisser de marbre l'assistance à majorité féminine et participer à ce constat amer, parfois avec désinvolture. Le degré d'intellectualité de ces femmes étouffe les sentiments et nous force à admettre qu'elles représentent une option incontournable à tout débat d'idées. Cette auteure originaire de Souk Ahras, titulaire d'un magistère es lettres françaises et haut fonctionnaire au ministère de la Culture, relate dans ses ouvrages le rôle de la femme dans la dimension que caractérise son quotidien, aussi bien naturel que spirituel. Tantôt conteuse d'un passé où se mêlent larmes et rires, pour que l'oubli ne soit aucunement cet instinct de dévouement de ce paragraphe de l'histoire qui prime toute logique que lorsqu'il s'affiche, obnubile le raisonnement. La plume courroucée, le verbe à fleur de peau, transcendent le dogmatisme de ceux qui tendent, s'acharnent et refusent de s'adapter aux exigences d'une nouvelle ère, dont le conservatisme et le rigorisme se trouvent aux antipodes de l'évolution. Rencontrée lors d'un débat autour de ses oeuvres à la bibliothèque du Palais de la culture, mercredi dernier, dans son allocution elle exprima les sentiments de révolte qui l'ont poussé à écrire son dernier roman intitulé «Voyage au bout du délire». Ce livre retrace les péripéties d'un jeune désoeuvré, une énième victime de la hogra, ce mépris assassin qui pousse des centaines de nos jeunes à vouloir aller chercher un ciel plus clément même au péril de leur vie. Les fameux harragas ne désarment pas face au désir de se libérer de ce qui reste de leur vie, pour juste savoir s'ils existent réellement. Des témoignages vivants. «J'ai intitulé mon ouvrage Voyage au bout du délire car c'est d'abord un vrai voyage mais sur des embarcations dans une mer hostile sans repère, allant à l'encontre d'une destination bien plus délirante, que chimérique s'ils parviennent à y accéder, car nombreux ont payé de leur vie ce chant de sirène», elle ajoute: «Mourir pour mourir alors autant l'être dans ces contrées que caressent nos rêves ou servir de pâture aux poissons, ne cessaient de répéter ces jeunes.» Elle ne cessa de parler, parfois avec véhémence pour fustiger nos gouvernants, «qui ne s'en soucie guère, alors que le pays regorge de richesses pouvant offrir à cette frange de notre jeunesse une vie décente». Elle s'étala longuement sur ce «profond malaise social qui ne cesse de s'accroître, annonciateur d'un avenir incertain». Les intervenants tes ont tous exprimé les mêmes émotions, car même si l'ouvrage reflète une certaine fiction dans la forme, mais dans le fond a laissé apparaître cette triste réalité. Changeant de thème, elle nous propose une virée historique à sa région qu'elle désigne dans son autre ouvrage «Fragments d'histoire et brins de croyance» relatant avec une pointe d'amertume visible sur son regard parfois évasif les affres de la guerre de Libération, les spoliations des terres par les colons dont la leur. Elle a été le témoin vivant de ce pan de l'Histoire. Cette Histoire mêlée de croyances propres à ce terroir a contribué à entretenir et nourrir cette force de résistance. Ces croyances, qui frisent la naïveté, sont parvenues à cimenter cette formidable entente entre toutes les tribus voisines pour parvenir à un seul but: la liberté. L'Expression: Le terme «hogra» revient, comme un leitmotiv dans la plupart des ouvrages des écrivains qu'on pourrait croire que c'est devenu une inspiration bon marché. Pourquoi cette focalisation sur ce sujet précisément? Zoubeida Mameria: Le mal qui ronge actuellement la majorité de cette jeunesse provient de ce mépris. Il gangrène cette importante frange de la société qui représente plus des deux tiers de la population. Oui! La hogra nous inspire cette idée de révolte. Je me vois mal conter une histoire de Djeha à un jeune pour qui le temps s'est arrêté et qui ne pense qu'à sortir de cette léthargie létale. Certes, nous voulons bannir ce mot, le faire disparaître à jamais en conjuguant nos efforts pour rendre à cette jeunesse l'espoir d'un lendemain meilleur. Dans votre dernier ouvrage «Voyage au bout du délire», on constate une réalité tangible et une fiction qui ne s'appuie principalement que sur le côté négatif. Pourquoi cette tendance? Non! En fait, je ne pourrai pas appeler ça une histoire basée que sur le négatif, c'est plutôt le constat d'un enchaînement de déception et de désillusion qui n'ont pas trouvé leur épilogue. Ce blédard, journaliste de son état, avait l'honnêteté de dénoncer un certain dysfonctionnement perçu comme un tort pour certains. Alors rien n'allait plus pour lui: ses écrits étaient rejetés, ses doléances ignorées; il ne lui restait plus que d'écrire pour soi-même par passion et pour oublier un tant soit peu ses déboires successifs, même sa piaule n'était pas garantie. En fait, rien ne lui appartenait et il avait perdu tout espoir de posséder ne serait-ce qu'une infime chose à lui. Il existe d'autres formes de mépris aussi dégradants que subissent quelques catégories de personnes et même pour certains d'entre elles on leur dénie le droit d'être algériens. Tels les SDF et les malades mentaux qui errent sans que personne ne s'en soucie. Ne méritent-ils pas une attention semblable à celle des «harraga» et ceux cités dans vos ouvrages? Mes ouvrages dénoncent la «hogra» dans son ensemble, celle qui touche les laissés-pour-compte, les marginalisés, les démunis sans aucune discrimination. Personne ne peut dénier le droit de vivre une vie décente à toutes les couches de la société, de décider dignement de leur devenir. Nous avons des richesses qui n'ont jamais été équitablement partagées, mais qui profitent seulement à la nomenklatura. Jusqu'à quand cette jeunesse qui est notre véritable richesse restera-t-elle passive devant cet état de fait? Nos jeunes n'ont jamais été impliqués dans des décisions qui touchent leur avenir, ils sont sciemment écartés de toute responsabilité et livrés à eux-mêmes sans la moindre perspective de retrouver un repère ni une planche de salut. A vous entendre, nous finirons par croire que vous avez perdu tout optimisme? Absolument pas! L'espoir d'un renouveau reste intact dans mes convictions. Pour peu que tous s'impliquent dans cette lutte ardue et difficile mais pas impossible. Inch'allah.