Les Egyptiens et notamment les Egyptiennes étaient présents en masse pour un scrutin inédit Hier, des files d'attente se formaient à l'heure de l'ouverture des bureaux de vote, au lendemain d'une participation plus importante que prévu selon la Haute commission électorale. Les premières élections de l'après Moubarak, saluées comme un «test de démocratie réussi», sont entrées dans leur deuxième jour hier, marquées par une participation inédite et un calme tranchant avec la violente crise qui a secoué le pays durant la campagne. «Naissance d'une nouvelle Egypte», titrait le quotidien gouvernemental Al Akhbar, saluant l'affluence sans précédent et sans incident majeur, quelques jours après des affrontements meurtriers entre police et manifestants hostiles au pouvoir militaire, tandis qu'Al Masri al-Yom (indépendant) clamait «le peuple réussit le test de la démocratie». «La foule mène la révolution au Parlement», «l'Egypte récupère sa voix», commente de son côté Al Chourouq (indépendant). Washington s'est félicité du début du scrutin pour lequel les observateurs indépendants américains présents ont témoigné de premières impressions «positives», selon un porte-parole du département d'Etat. Hier, des files d'attente commençaient à se former à l'heure de l'ouverture des bureaux de vote vers 08h00 (06h00 GMT), au lendemain d'une participation plus importante que prévu selon la Haute commission électorale, qui a prolongé de deux heures les opérations de vote lundi. Le vote de lundi et hier concerne le tiers des gouvernorats du pays le plus peuplé du Monde arabe avec plus de 80 millions d'habitants, dont la capitale Le Caire et la deuxième ville d'Egypte, Alexandrie. «C'est important pour moi de voter car je sens que pour la première fois, ma voix compte», affirme Rafiq, 30 ans, devant le bureau de vote dans le quartier d'Héliopolis, dans l'est du Caire. Il exprimait un sentiment partagé par de nombreux Egyptiens qui se félicitaient de pouvoir déposer un bulletin qui compte, après des décennies d'élections acquises d'avance au parti de M. Moubarak, accusé de fraudes massives. Les analystes estiment que les Frères musulmans, la force politique la mieux structurée et son parti, «Liberté et Justice» (PLJ) devraient sortir de ce scrutin comme la principale force politique du pays. Ces deux derniers mois, les islamistes ont déjà remporté des victoires électorales en Tunisie et au Maroc. Les résultats complets ne seront pas connus avant des mois, mais pour le vice-président de «Liberté et Justice», Essam al-Erian, l'islam politique va s'imposer également en Egypte, et obliger le monde à l'accepter. «Il est temps désormais que les capitales du monde qui ont soutenu Moubarak disent qu'elles acceptent l'issue du scrutin. Maintenant, pas après les résultats», a-t-il affirmé. Commentant le déroulement du scrutin lundi, le PLJ a parlé dans un communiqué d'un «jour sans précédent» dans l'histoire de l'Egypte. Le peuple «est en train de dessiner son avenir, salué par le monde entier qui a été surpris par cette participation massive». Le PLJ a estimé que le taux de participation avait atteint lundi «entre 30 et 32%». A l'attention des illettrés - près de 40% de la population -, chaque parti ou candidat indépendant est identifié par un emblème -la balance de la justice pour le parti des Frères musulmans, un ballon de football, une pyramide... ou des symboles plus surprenants comme une brosse à dents ou un mixeur. La campagne électorale a été éclipsée par une poussée de contestation du pouvoir militaire qui gouverne le pays depuis la chute de Moubarak, émaillée ces derniers jours de violences qui ont fait 42 morts et plus de 3000 blessés. Sur la place Tahrir au Caire, épicentre de la mobilisation, une partie des manifestants affirme ne pas croire au pouvoir des urnes pour obtenir le départ des militaires au pouvoir. «Ce qu'on demande ici à Tahrir, c'est la chute du maréchal Tantaoui (le chef du pouvoir militaire), donc évidemment je ne participerai pas aux élections qu'il organise», a affirmé Omar Hatem, étudiant de 22 ans. Face aux Frères musulmans, se présentent des dizaines de partis salafistes, libéraux ou de gauche, le plus souvent récents et encore mal implantés. De nombreux élus de l'ancien parti de M. Moubarak, aujourd'hui interdit, tentent également leur chance comme indépendants ou sous des bannières politiques nouvelles. Le futur Parlement devra nommer une commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution, une étape décisive dans la transition du pays vers la démocratie promise. Ces élections doivent être suivies avant la fin juin 2012 par une présidentielle, après laquelle le pouvoir militaire a promis de rendre le pouvoir aux civils. Mode de scrutin et principaux partis politiques Quelque 40 millions d'électeurs sur 82 millions d'Egyptiens votaient depuis lundi pour le premier scrutin législatif post- Moubarak. Ils doivent élire 498 membres de l'Assemblée du peuple (chambre des députés), tandis que 10 autres seront nommés par le chef de l'armée et chef d'Etat de fait, le maréchal Hussein Tantaoui. Un tiers des sièges de l'Assemblée du peuple seront pourvus via un scrutin uninominal à deux tours, les deux tiers restants étant attribués à des listes élues à la proportionnelle. L'Egypte est découpée en 27 gouvernorats divisés en trois groupes, qui voteront successivement, sur deux tours. Le 28 novembre, les élections ont débuté au Caire et à Alexandrie pour l'élection des députés, avec un second tour le 5 décembre. Le 14 décembre, Suez et Assouan notamment se rendront aux urnes. Le 3 janvier, le Sinaï et la région du delta du Nil se prononceront. Chaque tour se déroule sur 48 heures. Les Egyptiens vivant à l'étranger pourront également voter pour la première fois lors de ces élections. Les résultats définitifs seront connus le 13 janvier. Le cycle électoral se poursuivra du 29 janvier au 11 mars avec l'élection de la Choura (chambre haute consultative), la seconde chambre du Parlement égyptien. Les candidats des Frères musulmans se présentent pour la première fois en Egypte sous l'étiquette d'un parti, le «Parti de la liberté et de la justice». La confrérie, qui participe au dialogue avec l'armée au pouvoir depuis le départ de M. Moubarak, est la force politique la mieux organisée du pays et estime être en position de force. Créée en octobre, dans le sillage de la «révolution du 25-Janvier», «El-Thaoura al-Moustamira» (la Révolution continue), regroupe des petits partis issus de la gauche marxiste. Egalement né après la chute de Hosni Moubarak, «El-Kotla el-Masreya», (le bloc égyptien), représente la principale force du courant libéral et regroupe une quinzaine de partis, notamment les «Egyptiens libres» de Naguib Sawiris, un millionnaire copte (chrétien d'Egypte) à la tête d'Orascom, un empire des télécoms. Mi-novembre, la justice a autorisé les candidatures d'anciens du Parti national démocratique (PND) dissous du président déchu Hosni Moubarak, en campagne comme indépendants ou sous diverses étiquettes politiques. Une incertitude subsiste toutefois sur la durée du mandat des députés, de cinq ans légalement, cette Assemblée pouvant n'être que transitoire, jusqu'à l'adoption d'une nouvelle Constitution.