Après un processus révolutionnaire qui a balayé des régimes alliés en Afrique du Nord, les Occidentaux sont contraints de s'adapter aux premières victoires électorales d'islamistes, en affichant volonté d'ouverture mais aussi vigilance. Le chef de la diplomatie française Alain Juppé a ainsi estimé que «tout est risqué dans une révolution. Mais je crois qu'il faut faire confiance et être vigilant», a-t-il dit fin octobre, juste après les premières élections libres en Tunisie qui ont vu la victoire du parti islamiste Ennahda. Au Maroc, après la victoire relative des islamistes du Parti justice et développement (PJD) le 25 novembre aux législatives, le ministre français a retenu qu'ils étaient modérés et qu'ils n'avaient pas la majorité absolue, même s'ils vont pour la première fois diriger un gouvernement de coalition dans ce pays. Washington a aussi réagi avec pragmatisme au succès islamiste au Maroc, disant vouloir «attendre et voir»: «Le nom que porte un gouvernement ou un parti est moins important que ce qu'il fait, s'il agit (ou non) dans le respect des règles démocratiques», a avancé le département d'Etat. En fait, au lieu de «réactions impulsives» et indifférenciées sur l'islam, «les pays occidentaux réagissent avec prudence et pragmatisme», faisant «confiance aux sociétés civiles des différents pays concernés pour résister aux tentatives éventuelles d'étouffement des libertés», observe Pascal Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). «Nous ne pouvons que soutenir le processus en cours à partir du moment où il sort des urnes, démocratiquement. Il faut jouer le jeu et faire preuve à la fois d'ouverture et de vigilance», souligne un diplomate européen à Bruxelles. «Il ne faut pas se mentir, ajoute-t-il. Nous avons des inquiétudes. Il est évident que nous allons affronter des turbulences dans plusieurs pays de la région, comme la Libye, l'Egypte ou l'Algérie». Parlant de la Tunisie, Alain Juppé avait conditionné l'aide française au respect de l'alternance démocratique, des droits de l'homme, de l'égalité hommes-femmes, des «lignes rouges» à ne pas franchir. Une mise en garde plutôt mal perçue par le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi. «Confiance», «vigilance», «lignes rouges», les termes sont revenus dans sa bouche du ministre français la semaine dernière, à propos de la Libye au lendemain de la désignation d'un gouvernement de transition après la chute de Mouammar Kadhafi. Washington et Paris se sont aussi félicités du début du scrutin législatif lundi en Egypte, après les premières impressions «positives» d'observateurs indépendants américains. Et ce, alors même que les analystes s'attendent à une victoire des islamistes du mouvement des Frères musulmans, la force politique la mieux structurée. Le pragmatisme est aussi de mise du côté de l'Union européenne où l'on estime qu'il faudra s'adapter aux nouveaux modèles politiques en formation sur la rive sud de la Méditerranée. «Pour l'instant, souligne le diplomate européen à Bruxelles, nous sommes dans une période de test durant laquelle les différentes forces (mouvance radicale, partis islamistes modérés et société civile) cherchent à déterminer si elles pourront cohabiter». Pour Alain Juppé, ce serait en tout cas une erreur de partir du principe qu'islam et démocratie sont incompatibles. «Il ne faut pas stigmatiser en bloc les Frères musulmans ou les partis islamiques, ce n'est pas le diable. Il y a parmi eux des gens qui sont des extrémistes et ça on n'en veut pas. Mais il y a des gens tout à fait modérés», avait-il affirmé à propos de la Tunisie. «Par rapport à une époque où le simple mot d'islam suffisait à tétaniser toute réflexion et à lancer des grands mouvements de peur, c'est plutôt positif», commente Pascal Boniface.