S'il était président de la République, le salafiste Hazem Abou Ismaïl interdirait la mixité au travail et la vente d'alcool: des fondamentalistes, encouragés par le bon score islamiste aux législatives, ont tenu des propos qui suscitent un vif débat en Egypte. Au moment où les Frères musulmans -donnés en tête au premier tour de ce scrutin- cherchent à rassurer les laïques et les chrétiens, certains salafistes n'hésitent pas à exprimer publiquement le fond de leurs pensées. L'étincelle est partie lorsque cheikh Hazem Abou Ismaïl, candidat déclaré à la future présidentielle sous l'étiquette d' «indépendant», a affirmé que le gouvernement devrait «créer un climat pour faciliter» le port du voile, dans un pays conservateur. Et de rajouter qu'il ne permettrait pas à son fils de se marier à une femme non voilée car celle-ci ne serait pas «une mère convenable». «Je ne permettrais pas à un jeune homme et une jeune femme de s'asseoir ensemble dans un lieu public car cela est contraire aux traditions sociales», a renchéri cet ancien membre des influents Frères musulmans, interviewé jeudi soir sur la chaîne privée CBC. Il estime de même que la «mixité dans les lieux de travail est inacceptable» et que, s'il était élu, il interdirait «la vente et la fabrication de l'alcool», tout en laissant aux citoyens la liberté de boire...chez eux. Cheikh Abou Ismaïl n'est pas membre du parti salafiste Al-Nour qui a créé la surprise en raflant 20 à 30% des voix selon les estimations, derrière les Frères musulmans. Toutefois ses propos ont provoqué l'ire de jeunes sur Twitter et Facebook, où l'on retrouve même une page intitulée «Dites Non à Hazem Abou Ismaïl». «Hazem Abou Ismaïl est un clown», tweete un internaute. «Mais 25% des électeurs ont voté pour lui, j'espère que c'est parce qu'ils n'ont aucune expérience politique». «C'est parti pour qu'on devienne un nouvel Afghanistan!» lance un autre. «Si Abou Ismaïl gagne la présidentielle, je suis mort», lit-on dans un autre tweet. Beaucoup s'insurgent contre les islamistes toutes tendances confondues, les accusant d'avoir volé «leur» révolution qui a chassé le président Hosni Moubarak en février. Faten affirme: «Mon cher père laïque n'a pas été tué pendant la révolution de janvier pour que l'Egypte vote pour un Hazem Abou Ismaïl. Non, non et 1.000 fois NON». Interrogé par les médiats cette semaine, Mohamed Nour, porte-parole d'Al-Nour qui participait pour la première fois à des élections, avait dénoncé une «campagne de diabolisation et de diffamation» à l'encontre des salafistes. Si son parti admet la mixité dans ses locaux, où des militantes -en niqab- faisaient partie de l'équipe de campagne, il pose toutefois des limites au rôle des femmes et des coptes (chrétiens d'Egypte). «Nous refusons qu'une femme ou qu'un chrétien soit président de la République, Premier ministre, président du Parlement ou de la Choura (chambre haute consultative)», a affirmé leur candidat Mohamed Aamra, au quotidien Akhbar Al Youm. Et il veut bannir l'alcool, le nudisme sur les plages et les vêtements qui découvrent «trop» la peau. Le débat s'est enflammé lorsqu'un autre salafiste, le candidat Abdel Monem Al-Chahhat, s'en est pris à l'écrivain égyptien Naguib Mahfouz (1911-2006), icône littéraire du monde arabe et lauréat du prix Nobel de littérature en 1988. Il a affirmé que l'écrivain incitait au «vice» car ses romans portaient sur «la drogue et la prostitution» et se basaient sur une «philosophie athée», provoquant une levée de boucliers chez les intellectuels égyptiens. «Si Chahhat avait pu faire arrêter Mahfouz, il l'aurait fait», s'indigne le romancier Ibrahim Abdel Majid, cité par le quotidien indépendant Al Masri al Youm, qualifiant ses propos de «risibles». «Chahhat doit suivre des cours de littérature pour savoir que ghazal (genre poétique sur l'amour) et le sexe ont toujours fait partie de la poésie», estime Salah Fadl, critique littéraire, pour qui les propos du salafiste sont «l'ignorance et le vice incarnés».