Scène du film Dima Brando Dima Brando du Tunisien Rida Al Bahi (meilleure production au festival d'Abou Dhabi) et Transit du Jordanien Mohamed El Hochki sont les deux films que le public oranais a été invité à découvrir. Les journées se suivent et se ressemblent. Heureusement que le cinéma est là pour impulser vie à une monotonie rythmée par le temps qui passe. Cette année, le Fofa (Festival d'Oran du film arabe) qui a été monté en un temps record (un mois et demi environ) connaît des hauts et des bas. La programmation filmique ne donne pas trop l'eau à la bouche, bien que certains films finissent quand même par décrocher quelques petites perles de larmes en allant chercher du côté de l'affect du spectateur, ce qui lui manque en réelle portée cinéphilique. Souvent le cinéma s'élève quand le propos développé amène une idée claire car soutenu par une mise en scène tout aussi lumineuse, qui n'est pas à confondre avec la simplicité. Ambiguïté et sensibilité sont les traits qui caractérisent tant le premier film projeté dimanche à la salle Esaâda que le deuxième. Il faut préciser d'emblée que le premier relève du docu-fiction et a nécessité au réalisateur plus d'une dizaine d'années pour le mener à terme. Dima Brando du Tunisien Rida Al Bahi est une déclaration d'amour à Marlon Brando déclinée sous une forme d'histoire hybride, mêlant à la fois une réflexion profonde sur le cinéma (vision orientaliste) et l'attachement indéfectible du réalisateur au mythe de Brando. En cela, un caractère bien personnel domine ce film qui raconte la relation qu'entretient le cinéaste avec le 7e art et son expérience avec Brando qu'il avait rencontré quelques années auparavant et projeté de faire un film avec lui, si ce n'est la mort qui est venue l'emporter et faire capoter le projet. Qu'à cela ne tienne. Les idéaux de Brando vont servir comme matière première au documentaire, à constituer comme hors champ à une histoire qui touche la population maghrébine depuis plusieurs décennies, en un mot l'industrie cinématographique en Tunisie qui est souvent exploitée comme fonds de commerce pour les Américains quand ces derniers viennent utiliser les Maghrébins comme «main-d'oeuvre» et leur paysage comme décor à leur superproduction. Quel image donne-t-on à un pays qui se prostitue, semblerait se demander le Tunisien, qui en questionnant le réel, parvient à analyser la situation du 7e art en Tunisie et cerner ses vices et travers. L'histoire est celle d'un jeune, Anis qui, séduit par l'idée d'un acteur américain qui lui fait miroiter l'idée de l'emmener aux USA pour devenir une star car rassemblant à Marlon Brando, décide coûte que coûte de s'y rendre, en mettant en péril sa relation avec sa chérie, dans un village perdu. Le rêve américain, oui mais à quel prix? Faut-il vendre son âme au diable pour réaliser ses rêves? Le réalisateur a dédicacé son film à Edward Saïd, spécialiste en littérature orientaliste, ce qui n'est pas fortuit. «L'idée du film porte sur le nous et les autres», a souligné Rida Al Bahi. Si dans les années 1970, l'engagement était total et radical chez notre cinéaste, aujourd'hui ses idées se sont nuancées. Il en donne pour preuve sa relation avec les autres, après avoir découvert le militantisme de Brando suite à la chute de Saddam Hussein. «L'Amérique ce n'est pas que Bush mais des Brando aussi..» Cinéma de «témoignage» avant qu'il soit de «message», le film qui casse un tabou en évoquant l'homosexualité de Brando en la suggérant dans le film, a suscité quelque gêne au sein du public. Le réalisateur s'en est défendu, arguant que la censure n'était pas son style, bien que l'époque tend à l'imposer aujourd'hui, contrairement aux années d'avant. Il rappellera son riche parcours cinématographique et les thèmes audacieux abordés dans ses films. «Le cinéma est un moyen d'expression, mais je ne m'abaisserai jamais à donner à voir des scènes choquantes et avilissantes.». Après avoir repris ses esprits, le public oranais a été invité à plonger dans une histoire versant dans un registre complètement différent. Transit, du Jordanien Mohamed El Hochki est un road movie sentimental dans la vie morne de Leila qui retourne dans son pays, la Jordanie, après s'être expatrié au USA, une quinzaine d'années et revient chez ses parents. Elle découvre que cela a totalement changé et choisit de ne pas informer ses parents de son divorce. Son père ne lui adresse plus la parole, sa mère et sa soeur portent désormais le voile. Partagée entre tradition et modernité, Leila semble comme perdue, désorientée. La morosité transparaît dans ce film de façon continue bien que Leila semble porter en elle des projets d'avenir pour son pays, à savoir devenir enseignante à l'université. Cela s'avérera compliqué. Leila, 36 ans, devra buter sur un certain nombre d'obstacles dont celui du regard des autres et leur jugement. Ce film, fera remarquer le réalisateur, a été réalisé avant le Printemps arabe, période où le peuple arabe ressentait un profond sentiment de lassitude et de désespoir. Un malaise sous-jacent comme un volcan qui bouillait avant les révolutions. «On s'est exilés nous les jeunes dans notre propre pays», a déclaré le réalisateur. Une phrase qui n'est pas sans rappeler le fameux livre de Virginia Wolf Etrangers à nous-mêmes. «Qui sommes-nous»? se demande le réalisateur en faisant allusion à la diversité de la société arabe, hétéroclite et riche. «Que tu sois conservateur ou moderne, d'ici ou de là-bas, les deux ont le droit d'exister et de cohabiter ensemble. On doit accepter l'autre tout en assumant ses choix et ce qu'on est. On doit jouer le jeu tout en prenant nos responsabilités au sérieux, notamment politiques.» Evoquant le quotidien de Leila, le réalisateur, en évoquant la place de la femme dans la société arabe, dira à juste titre: «Le fait qu'elle soit femme dans une société arabe fait d'elle un être complexe sans parler qu'elle est divorcée.» Bref, Transit se perd dans la sinuosité de quelques séquences assez lourdesques sans pour autant perdre de vue cette réalité bien amère, au goût d'inachevé.