Merzak Allouache entouré de ses comédiens Fidèle à son caractère bien trempé, Merzak Allouache, venu présenter son film Normal, mardi dernier, a suscité le désordre, bien plus qu'aurait pu le faire son film. Quand la fiction rejoint la réalité ou comment matérialiser un trop-plein d'idées, de surcroît sociopolitiques, en un seul film. Engagé, dites-vous? Normal est de cet acabit-là, malgré lui. Le nouveau film de Merzak Allouache bute devant l'explosion de réflexions, passant de l'une à l'autre comme d'une scène à une autre, un film dans un autre. Sans discontinuer. Si le titre prête à sourire car renvoie inéluctablement au paradoxe de notre société qui se complait dans la mollesse, la façon d'en saisir les contours est moins élaborée. Normal présente l'histoire d'un jeune couple d'artistes qui essayent de réaliser un film sur leur propre situation. A partir d'une pièce de théâtre ils en font un film dont le sujet aura pour thématique la censure. Le ministère de la Culture avait refusé de la subventionner car jugée «subversive», c'est ainsi qu'un couple de cinéastes se retrouve à filmer lors du Panaf 2009 cette histoire mise au tiroir durant plus de deux ans. Le Printemps arabe éclate en Tunisie, l'Algérie suit timidement en organisant des manifestations dans la rue pour défendre la cause «de la démocratie et la citoyenneté». Se pose pour le réalisateur un problème: comment être au plus près du réel afin de défendre ses idéaux, ses droits et rester fidèle à ses engagements. Est-il sur la bonne voie? Il décide de convoquer les comédiens pour voir la première version du film tout en leur proposant de le modifier. Les marches du samedi sont réprimées par des centaines de policiers. Le couple de cinéastes porté par la comédienne Adila Bendimerad -véritable militante et porte-voix de ces fameuses marches - veut y participer à la marche tandis que son mari refuse de la laisser car ayant peur qu'il lui arrive quelque chose. Il décide par ailleurs d'injecter dans la marche du samedi deux de ses comédiens. Normal deviendrait ainsi une sorte de docu-fiction ou ce que l'on appelle le cinéma du réel qui tend à poser les problèmes concrets d'une société, la notre encore plus compliquée, en l'occurrence, car politiquement boiteuse, portant sur épaule un passé lourd, chargé de sang et de répression. Octobre 1988 n'est pas loin, la tragédie nationale encore moins et les artistes n'arrivent pas à faire leur travail tranquillement. Les cinéastes peinent à trouver des comédiennes pour incarner des scènes sentimentales pourtant inspirées du vécu sans pour autant heurter la sensibilité du spectateur qui n'a pas trop l'habitude de se voir à l'écran. Que de questionnements et un constat affligeant sur une société en manque d'équilibre. Un peu à l'image de ce long métrage porté par ce jeune cinéaste dans le film (Fouzi) qui espère, souhaite traduire fidèlement le «rythme» de son pays et faire écho de ses pulsations, vérités bonnes ou mauvaises, travers et vices. Merzak Allouache, qui s'adonne à un exercice difficile d'acrobatie narrative commet un film aux attraits «contemporains» novateurs tout en faisant dire à son alter ego Fouzi: «Je ne sais plus comment faire un film et écrire mon scénario sur l'Algérie.» Pourquoi faire compliqué quand on peu faire simple? Pas assez de distance ou un trop-plein de ras-le-bol et d'intériorisation? A travers Normal, Merzak Allouache qui commet un pamphlet clair sur le pouvoir et les tenants de la culture, sans oublier des médias passifs dans le pays, propose un projet de société, tel qu'il est conçu sur cette fameuse banderole paraphée par la comédienne Adila Bendimerad. Mais la confusion est telle qu'on ne sait qui et qui parle, les personnages ou Merzak Allouache lui-même? Beaucoup de politique tue pour une fois le cinéma. Celui de Allouache se perd dans les dédales d'une liberté d'expression forte, marquée de ton inégalé, étrangement déstabilisante. Réalisé en dernier ressort grâce à un financement étranger pour la finition du film, Merzak Allouache avouera lors du débat qui suivit la projection mardi, qu'il aurait été difficile pour lui de montrer ce film à Doha s'il avait été censuré en Algérie. L'idée de faire un documentaire sur le Panaf s'est vite dissipée mais par manque de moyens, le projet a stagné jusqu' à son séjour à Doha où il recevra cette aide. Les marches pour la liberté sont en route à Alger et Merzak Allouahce veut prendre aussi ce train en marche en décidant de mettre des personnages en pleine manifestation pour parler encore de la création artistique. «Où se situe l'engagement de l'artiste? Action et création peuvent-elles cohabiter ou l'une suffit à l'autre? Où finit et où commence l'engagement a fortiori de l'artiste? Dans quelle mesure pourrait-il être total?», a souligné le comédien Ahmed Benaïssa qui évoquera à juste titre le rôle de l'artiste dans l'accompagnement du réel. «Devrions-nous, nous artistes, rester passifs ou sortir dans la rue? Le problème est de s'exprimer autrement», est-il suggéré dans ce long métrage qui évoque le rôle des réseaux Facebook et YouTube dans la vulgarisation de l'info encore plus que la presse et les mass-médias. Dire, ne pas avoir peur, affronter le danger, et aller de l'avant, pour une cause qu'on croit juste, tout en faisant fi des qu'en-dira-t-on de la société aura été aussi le propos du second film projeté à la salle Essaâda, mercredi dernier. Asma de l'Egyptien Amr Salama dénonce le mauvais traitement qui échoit aux femmes atteintes du virus du sida dans la société arabo-musulmane. Incarnée par la star tunisienne Hind Sabri qui évolue en Egypte, Asma a été infectée par son mari. Elle est atteinte aussi d'une autre maladie qui nécessite une opération chirurgicale. Tous les médecins refusent de l'opérer partant des préjugés sur sa maladie, le sida. Le film qui parvient à brosser une géographie intelligente de la société égyptienne parvient, décrit, dépeint et traduit avec exactitude et émotion juste et contenue, ce drame humain, qui, bien souvent tue. «Faire retrouver l'humanisme chez les gens est le but de mon film», a indiqué le réalisateur qui assurera que chaque artiste a un message à transmettre. En cela, Asma se veut être un film tout aussi engagé décliné avec un immense naturel déconcertant sans trop tourner autour du pot comme l'a fait un peu Merzak Allouache dans son nouveau film. Bien qu'il soit intéressant, courageux même par un choix esthétique évident, Normal pèche par la largesse de son discours politique, moralisateur et démagogique, débité frontalement. Loin de nous de juger son contenu, il dessert paradoxalement le propos et fait manquer au film de s'élever au rang d'une oeuvre fictionnelle. Normal réussit toutefois par quelques plans d'aération à alléger son scénario de sa lourdeur. Filmer ses personnages, interpréter ses propres images, c'est faire peu cas de l'intelligence du spectateur qui se retrouve à «consommer» à tout-va un discours politique, désactivant sa beauté réflective. Cela s'appelle mâcher notre travail intellectuel, d'où ce faux semblant qui caractérise le film Normal en lui imputant un certain cachet «reportage» de l'urgence. Audacieux tout de même et pertinent est le film, contrairement à son créateur qui l'est nettement moins. L'attitude de Merzak Allouache à casser du sucre sur le dos des journalistes lors du débat qui a vite tourné au règlement de comptes, avec la télévision et les médias de façon générale, est tout bonnement regrettable. Scandaleux. Comme disait un confrère à juste titre: «Voilà un réalisateur qui prône la liberté d'expression tout en la déniant au journaliste!» Un réalisateur au caractère bien trempé, vole la vedette à son propre film. No comment.