Les responsables du néo-sécuritaire laissent à chaque fois l'occasion passer de prévenir les tensions. Ils étaient pathétiques, hier, debout, mains derrière le dos et face au juge, les douze adolescents émeutiers de Boumerdès. Accusés de «désobéissance, attroupement et destruction de biens publics», Fatah, Rachid, Zineddine, Nadjib et leurs amis étaient bien jeunes, très jeunes pour être fichés par la police, ou encore moins pour comparaître devant un juge en grande audience publique. A peine sortis de l'enfance, ces douze apprentis-émeutiers dont deux n'ont pas encore atteint l'âge de la majorité, ont fait figure de péril sérieux pour les services de sécurité: un important dispositif sécuritaire a été mis en place, des dizaines de policiers quadrillaient les rues débouchant sur le tribunal de Boumerdès, et autant de gendarmes pour emmener et reconduire les «prisonniers» - car les jeunes ont quand même passé deux jours dans l'établissement pénitentiaire d'El-Harrach. En deux mots, tout un arsenal de guerre pour douze gosses à peine sortis de l'enfance et jetés, tête la première, dans l'inévitable et interminable cycle émeute-répression. En fait, nous sommes bien face à un phénomène de violence récurrent en Algérie, qui se fait et se défait au gré des situations, qui s'habille de mille habillages et prend les formes de l'instant dans lequel il naît. Hier, c'était la révolte des loubards d'octobre 88, des radicaux du GIA, métamorphosés en serial-killers, aujourd'hui c'est la révolte des «tôlards» - cinquante d'entre eux se sont fait hara-kiri dans les prisons-mêmes en 2002 - des archs et des sinistrés. Cette violence peut encore demain prendre des formes imprévues, des couleurs inattendues et des armes du moment, avant que les services des études préventives au niveau du DRS et des services de sécurité y voient la poussière se lever. Cela se vérifie à chaque violence, et ce n'est pas en quadrillant les villes, en mettant sur écoute toute une population ou en fliquant toute la société que l'on pourra y voir plus clair. Hier, face à la violence très soft de douze gamins - même en retenant les chefs d'inculpation dont on les a affublés, c'est tout le dispositif sécuritaire qui a été mis à rude épreuve. Le wali de Boumerdès, qui a compris sur quelle poudrière il se trouvait, n'a eu de cesse d'intercéder auprès des autorités pour faire baisser la tension de plusieurs crans. Le formidable travail de proximité entamé aussi bien par la police que par la gendarmerie risque de partir en fumée si ce genre de tension persiste. Déjà, on sent les failles lézarder les relations citoyens-services de sécurité, et déjà, on pressent que la confiance qui commençait à s'établir jour après jour, sacrifice après sacrifice, se dissoud sous la poussée des crises sociales. Il est tout aussi sûr que «l'assainissement» consenti par Ali Tounsi dans le corps de la police et Boustila dans celui de la gendarmerie n'aura pas de raison d'être si, à chaque foyer de tension ou de crise sociale, les dirigeants politiques usent de ces corps de sécurité, dont la principale mission est la sécurité publique, pour réprimer, justement, les jeunes émeutiers, de plus en plus tentés par la radicalisation de l'expression. En attendant que responsables de sécurité et dirigeants politiques fassent un retour sur eux-mêmes, les jeunes ont encore des capacités exceptionnelles pour se faire entendre par la violence. Loin des bureaux des gourous du néo-sécuritaire, la rue offre, à chaque tournant, une panoplie de tensions et de turbulences, donc de violences en gestation. En fait, les autorités algériennes font face à ce dilemme aussi cruel qu'ambigu : réprimer les jeunes et exacerber les tensions, ou calmer le jeu et se faire passer pour un Etat laxiste et peut-être encourager d'autres velléités. Douloureux choix pour un régime dont les enjeux politique, les intrigues et les luttes de sérail se répercutent de plein fouet sur le comportement de la jeunesse urbaine pauvre.