L'image d'une usine nucléaire iranienne prise par satellite Nucléaire, pétrole, manoeuvres militaires, Téhéran est au coeur d'une polémique controversée. Face à la crise qui oppose l'Iran aux pays occidentaux, soucieuse de mettre fin au programme nucléaire iranien, l'Union européenne a conclu jeudi un accord de principe pour interdire une grande partie de ses transactions avec la Banque centrale d'Iran, dont le texte (sur ces sanctions) est considéré comme accepté et clos par les ambassadeurs des vingt-sept pays de l'UE qui se sont réunis à Bruxelles. La décision sera entérinée lundi lors d'une réunion des minis-tres européens des Affaires étrangères à Bruxelles. Le but de ces sanctions européennes est de réduire au maximum les sources de financement du programme nucléaire iranien. L'objectif est également de viser celles servant au commerce du pétrole, si un accord sur l'embargo dans ce secteur est finalisé. Ces sanctions sur les transactions de la Banque centrale iranienne avec l'Europe ne seront que partielles, et permettront la continuation des activités de la banque dans d'autres domaines jugés inoffensifs ou bénéficiant à la population iranienne afin de permettre au commerce légitime de se poursuivre. L'autre raison «intéressée», car elle sert les intérêts de certaines puissances européennes, réside dans le souci de permettre à Téhéran de continuer à rembourser ses dettes. L'Allemagne en particulier, s'inquiétait pour le remboursement de prêts de 2,6 milliards d'euros qu'elle a fait dans le passé à l'Iran si les ponts étaient coupés totalement avec la Banque centrale du pays. Des sanctions qui vont dans le sens d'une loi promulguée le 31 décembre dernier par le président Barack Obama. Une loi renforçant les sanctions contre le secteur financier iranien et permettant de geler les avoirs aux Etats-Unis de toute institution financière étrangère qui commercerait avec la Banque centrale iranienne dans le secteur du pétrole. Concernant l'éventualité, soutenue par les Etats-Unis, d'un accord relatif à un embargo pétrolier à l'égard de l'Iran, sanction autrement plus lourde compte tenu de l'importance des hydrocarbures dans les revenus du pays, le dossier sera, lui aussi, tranché lundi lors de la réunion ministérielle. La loi des plus forts Selon des sources diplomatiques, l'Union européenne devrait mettre en place un embargo pétrolier à l'encontre de l'Iran d'ici le début du mois de juillet, après une période de transition permettant aux pays les plus concernés de s'y préparer. Cette proposition a été mise sur la table par les Danois qui président l'UE au premier semestre 2012. Certains pays avaient souhaité un délai plus rapproché, de l'ordre de trois mois, pour lancer l'embargo, tandis que ceux ayant des liens commerciaux forts avec l'Iran, comme la Grèce, réclamaient jusqu'à un an. De son côté, le Premier ministre italien Mario Monti, dont le pays est le premier importateur européen de pétrole iranien, avait plaidé pour la mise en place d'un embargo graduel, dont soient exclues les livraisons qui servent à rembourser les dettes que l'Iran a contractées envers la compagnie nationale italienne ENI. Téhéran vend quelque 450.000 barils par jour (18% de ses exportations) à l'Union européenne, essentiellement à l'Italie (180.000 b/j), à l'Espagne (160.000 b/j) et à la Grèce (100.000 b/j), trois pays en mauvaise posture économique du fait de la crise de la dette. Si ces sanctions internationales venaient à être appliquées dans leur intégralité au cours des prochains mois, elles pourraient empêcher l'achat de pétrole iranien par la plupart des pays et seraient assez contraignantes et douloureuses pour l'Iran. En effet, le secteur pétrolier représente 60% de l'économie iranienne. Le pétrole iranien est exporté par une société publique dont les recettes, en devises, sont transformées en monnaie nationale et deviennent propriété du gouvernement. Pour les Iraniens, un embargo sur le pétrole, serait donc, quasiment un acte de casus belli. Ce qui risque d'engendrer des troubles à l'intérieur de l'Iran, et pourquoi pas, selon un scénario courtisé par les Occidentaux, déboucher sur un renversement du régime en place. Face aux menaces qui risquent de créer des troubles à l'intérieur de leur pays, les Iraniens cherchent à bien faire comprendre aux Occidentaux qu'ils ont les moyens de répondre si un embargo pétrolier était décidé. Toutes les options ouvertes L'Iran menace dès lors de fermer le détroit d'Ormuz, et ce, même si un blocage du détroit d'Ormuz serait aussi catastrophique pour eux que pour le reste du monde, car eux-mêmes ne pourraient plus exporter leur pétrole. Si la peur d'une obstruction de cet axe stratégique - qui pourrait mettre l'économie mondiale à genoux - est bien réelle, les Etats-Unis s'efforcent de relativiser le risque. Effectivement, les inquiétudes de la communauté internationale sont d'autant plus fondées que la menace iranienne est crédibilisée par une série de manoeu-vres militaires navales lancées ces derniers jours autour du détroit d'Ormuz. Dix jours d'exercices au large des côtes iraniennes comprenant, entre autres, des opérations pour lancer des mines antinavires et anti-sous-marins. Autant de pratiques jugées sensibles quand on connaît la présence navale américaine dans cette zone névralgique, avec notamment la Ve flotte, basée à Bahreïn. Téhéran joue l'escalade. Alors qu'il vient d'achever une campagne de manoeuvres militaires de dix jours dans le détroit d'Ormuz, le régime islamiste a annoncé qu'une deuxième série d'exercices serait menée du 21 janvier au 19 février. A cette initiative, les Etats-Unis ont immédiatement répliqué qu'ils répondraient par la force si l'Iran cherchait à bloquer le détroit d'Ormuz. L'enjeu de cette passe d'armes est crucial. Près de 40% du trafic maritime pétrolier mondial transite par le détroit d'Ormuz. Outre les Emirats arabes unis et l'Iran, toutes les exportations de pétrole de Bahreïn, du Koweït et du Qatar empruntent ce passage, ainsi que la plus grande partie des exportations pétrolières d'Arabie Saoudite et de l'Irak. Soit un transit de 17 millions de barils par jour l'an dernier. Suite aux menaces d'embargo pétrolier sur l'Iran, le vice-ministre américain à l'Energie, Daniel Poneman, a assuré que «le monde peut se passer du pétrole iranien». De son côté, l'ambassadeur d'Iran auprès de l'Opep, Mohammad-Ali Khatibi, jure que ce serait «un suicide économique». Les données de l'échiquier ont graduellement changé après la main tendue de l'Arabie Saoudite qui estime pouvoir répondre à la demande du marché pétrolier en poussant sa production au maximum. L'Arabie Saoudite produit 9,7 millions de barils par jour et informe qu'elle a les capacités de monter jusqu'à 12 millions par jour. Si elle le fait, elle se retrouve au maximum de ses capacités. Dans ce cas, le marché le prendrait en compte et le moindre incident géopolitique entraînerait des tensions sur les prix. (L'Irak et la Libye pourraient à leur tour augmenter leur production, mais il y a énormément d'incertitudes sur ces pays). A cette provocation, l'Iran a mis en garde mardi dernier l'Arabie Saoudite contre une éventuelle augmentation de sa production pétrolière pour compenser le pétrole iranien en cas de sanctions occidentales en appelant les dirigeants saoudiens à «réfléchir davantage» aux conséquences d'un tel geste. Une menace à peine voilée envers l'Arabie Saoudite, premier pays exportateur de brut au monde, et le seul pays à avoir des capacités de production excédentaires significatives. La loi du marché en arbitre? Il est certes possible de se passer du pétrole iranien. Car le plus important c'est, en réalité, la loi de l'offre et de la demande. Si l'offre mondiale est réduite, l'impact sur le prix est immédiat. Et ce sera probablement le cas avec l'Iran. Etant le deuxième producteur mondial, renoncer au marché iranien bouleversera sans aucun doute le coût de l'énergie. Le vrai problème est donc l'impact de l'isolement de l'Iran sur le prix du pétrole. Dans toutes ces menaces occidentales ainsi que les initiatives américaines pour faire pression sur l'Iran afin qu'il renonce à son projet nucléaire militaire, nié par Téhéran, un aspect géostratégique semble consciemment excepté, ou tout simplement sous-estimé. Les immenses besoins en énergie de la Chine, de l'Inde et du Japon. Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a d'ailleurs assuré, dans une conférence de presse tard mercredi à Doha, que son pays continuerait à acheter du pétrole iranien tout en minimisant la menace d'une fermeture du détroit d'Ormuz, agitée par les autorités iraniennes. Sur un plan purement stratégique, l'Union européenne se repose pour son approvisionnement en hydrocarbures sur la Norvège et surtout sur la Russie. Ce qui n'est pas une situation saine, mais dans la conjoncture actuelle, elle est partiellement à l'abri, en approvisionnement, du crash pétrolier qui se concocte. Les approvisionnements européens dépendent très largement du canal de Suez. Les Etats-Unis dépendent, quant à eux, contrairement à une idée souvent admise, peu du Moyen-Orient pour leur approvisionnement en pétrole. Cette région assure aujourd'hui 18% des importations pétrolières du pays contre près de 30% en 1990. L'Amérique dépend davantage du Canada ou du Mexique que de l'Arabie Saoudite. Ce qui intéresse les Etats-Unis, c'est moins l'accès au pétrole pour leur propre approvisionnement que le contrôle de la région, pour pouvoir le cas échéant, exercer une pression politique, pour menacer les livraisons à destination de son éventuel rival, la République populaire de Chine, même si ses approvisionnements, ainsi que ceux du Japon passent par le détroit de Malacca. La Chine a toujours été beaucoup plus hésitante à mettre la pression sur l'Iran pour que ce dernier arrête de développer l'arme atomique. C'est que la Chine a de très gros besoins d'énergie pour alimenter sa croissance économique et que pour l'instant, ils ne peuvent être satisfaits qu'en faisant appel au pétrole, à beaucoup de pétrole. Or, l'Iran en est le deuxième producteur mondial et un important fournisseur déjà de la Chine. De même que la Russie est tenue par ses contrats dans le nucléaire, la Chine est également très présente en Iran dans divers projets d'exploration, de raffinage, de barrages, de chantiers de travaux publics, terrestres ou maritimes. Reste un espoir pour les Occidentaux. Une alternative qui induira le recul de l'offensive stratégique iranienne, et qui lui ferait perdre (à l'Iran) ses perspectives de menaces de «verrouiller Ormuz», le corridor stratégique pour le trafic maritime pétrolier. Les Emirats arabes unis affirment que leur projet de contournement est «presque terminé». En effet, les Emirats arabes unis sont sur le point d'achever la construction d'un oléoduc qui doit permettre d'acheminer le pétrole depuis les champs de Habshan (sud-ouest de l'émirat d'Abou Dhabi) au port de Foujeirah (est des Emirats sur le golfe d'Oman), sans avoir à transiter par le détroit d'Ormuz. D'une longueur de 360 kilomètres, cet oléoduc a une capacité de 1,5 million de barils par jour. Une capacité qui pourrait atteindre 1,8 million de barils, selon le ministre de l'Energie. Les Emirats arabes unis produisent actuellement environ 2,5 millions de barils par jour. La construction de cet oléoduc, dont le coût est de 3,3 milliards de dollars (2,36 milliards d'euros), a démarré en 2008 et a été retardée à plusieurs reprises à cause de tensions avec Téhéran, car selon le calendrier initial, les exportations via cet oléoduc auraient dû débuter il y a un an.