Le poète exilé Il fait partie des artistes auxquels les officiels ne rendent pas hommage mais qui demeurent, grâce à leur oeuvre, immortels. Hier, samedi 28 janvier 2012, vingt-neuf ans déjà sont passés depuis le décès du chanteur Slimane Azem. Il s'agit d'un anniversaire qui, comme d'habitude, passera inaperçu en Algérie car Slimane Azem fait partie des artistes auxquels les officiels ne rendent pas hommage mais qui demeurent, grâce à leur oeuvre, immortels. D'ailleurs, peut-il y avoir un meilleur hommage que celui que lui rendent ses fans en l'écoutant régulièrement? Peut-il avoir meilleure considération que celle de l'excellent interprète Kamel Messaoudi qui a repris ses chansons ou encore les hommages multiples du Rebelle Matoub Lounès, celui de Salah Sadaoui, etc.? Slimane Azem déplait certes à ceux qui ne demandent qu'à être encensés. Non pas à ceux et ils sont beaucoup plus nombreux qui veulent connaître la vérité ou les vérités. Slimane Azem, qui s'est envolé de ce monde suite à une longue maladie, a pu s'imposer contre vents et marées, durant toute la période où il chantait et où il produisait, comme étant le chanteur kabyle N° 1 en dépit de toutes les censures qui n'avaient cessé de lui être infligées et de l'affliger. Un artiste censuré Jusqu'à 1988, année où l'Algérie avait connu une ouverture médiatique, Slimane Azem et Matoub Lounès étaient deux chanteurs qui n'avaient aucun droit de cité dans aucun média algérien. Même la chaîne de radio kabyle, la Chaîne II, qui bénéficiait pourtant d'une certaine souplesse a ignoré plus d'une fois les deux noms de ces grands poètes. Si dans le cas de Matoub Lounès, les raisons de la censure sont plus qu'évidentes et le contraire aurait étonné, s'agissant de Slimane Azem, des questions se posent concernant le fait qu'il ait été écarté de toute médiatisation en Algérie bien que des décennies durant il est resté le chanteur kabyle le plus populaire et le plus écouté. En outre, ses poèmes sont loin d'être sulfureux au point d'effrayer les gardiens du temple. En plus d'un exil douloureux, Slimane Azem a eu à subir les affres de la censure et de la dénégation dont seules les victimes peuvent connaître les conséquences. En guise d'explication au comportement du pouvoir de l'époque à l'encontre de Slimane Azem et de ses chansons, le chercheur Mehenna Mahfoufi rapporte ces propos du poète, confiés à un ami quelques jours avant sa mort: «Ce n'est pas moi ou mes chansons que le pouvoir algérien interdit, c'est ma culture, c'est mon appartenance à la société berbère.» De son côté, l'écrivain Youcef Necib rappelle que pendant trois décennies, soit de 1954 à 1983, Slimane Azem a affronté d'abord l'autorité coloniale qui interdit ses chansons patriotiques et le suspecte de nationalisme pendant la guerre de Libération nationale et ensuite, les gouvernants de son pays et des bureaucrates dociles de 1962 à sa mort. «Les premiers le tiennent pour un subversif qui cache son jeu et leurs coups sont amortis par le bouclier fraternel, les seconds le rejettent et jettent sur lui l'anathème du silence», explique Youcef Necib qui a publié un livre sur le chanteur d'Agouni Gueghrane, en 2001, où il a traduit une grande partie de ses textes. L'ostracisme dont a été frappé Slimane Azem durant toute sa carrière n'a pas réussi à déteindre sur l'amour que ses fans portent à ses chansons. Le cas de Slimane Azem est une preuve irréfutable qu'une censure médiatique ne peut aucunement constituer une barrière devant l'ascension d'un artiste, quand il est authentique et talentueux. D'ailleurs, même ceux qui ne l'aimaient pas vraiment à l'époque, pour une raison ou une autre, ne pouvaient pas remettre en cause son talent inégalé. C'est le cas du fondateur de l'Académie berbère, Bessaoud Mohand Arav. Youcef Necib rapporte dans son livre que Bessaoud Mohand Arav, malgré les déboires qu'il rencontrait avec lui, le qualifiait de «notre meilleur poète du moment». Exil et affliction S'il y a bien un thème récurent dans l'oeuvre poétique de Slimane Azem, c'est bel et bien celui de l'exil. Le poète a vécu des décennies loin de sa terre natale. Un exil entouré de mystères car il n'a été jugé ni condamné par aucun tribunal. Il s'agit aussi d'un exil intérieur car Slimane Azem a beaucoup souffert. Celui dont l'une des plus belles chansons est intitulée «Tamurt iw aâzizen» (Mon cher pays), quitte l'Algérie en 1962 et ne reviendra plus. Des raisons sur lesquelles il ne sert à rien de s'attarder ici, sont à l'origine de cette déchirure affective d'avec sa terre natale. Le poète exilé dépérit à petit feu et écrit des textes pour exorciser cette douleur inénarrable de ne pouvoir se rendre à la fontaine de son village. Il s'adresse alors à tous ceux qui peuvent lui ramener des nouvelles du pays: les perdrix, l'hirondelle, le rêve, une nuit d'orage, Dieu ou encore «madame» qu'il supplie de lui servir encore à boire pour oublier le mal d'être déraciné. Slimane Azem est parti, il est mort exilé sans pouvoir exaucer un voeu qu'il a exprimé dans tant de poèmes dont celui intitulé «Exilé et étranger»: «L'exil saigne mon coeur, et tant pis pour ma raison, qui m'a trainé dans maints pays, Ö tous les saints de chez moi, Soignez ma raison, et ouvrez-moi enfin les bons chemins, ramenez-moi enfin dans mon pays, pour que j'y pratique ma religion, et revoie tous mes amis».