L'historien Alain Dewerpe, fils de l'une des victimes, parle de «massacre d'Etat»: cinquante ans après la manifestation du 8 février 1962 pour «la paix en Algérie», des syndicats et des partis continuent d'exiger «vérité et justice» sur la violente répression qui avait fait neuf morts au métro Charonne, à Paris. Un rassemblement est prévu mercredi sur les lieux où s'était noué le drame, cinq semaines avant la fin de la guerre d'Algérie, une période marquée par une montée de l'OAS, l'Organisation de l'armée secrète formée par des ultras de l'Algérie française. C'était justement pour répondre à une série d'attentats commis par l'OAS le 7 février 1962 qu'un collectif syndical, soutenu par la gauche française, avait appelé à une manifestation «contre le fascisme» et «pour la paix en Algérie». La manifestation fut interdite et le préfet de police -- et ex-haut fonctionnaire du régime collaborationiste de Vichy -- Maurice Papon en avait signifié la décision à une délégation qu'il avait reçue. «On nous avait suggéré de ne pas poursuivre», se souvient le député socialiste Tony Dreyfus, alors vice-président d'un syndicat étudiant. «Nous savions bien que la manifestation était interdite, mais on y allait avec l'idée de se faire taper dessus comme d'habitude, pas avec l'idée de mourir», se souvient de son côté la sociologue Maryse Tripier, une rescapée, qui était alors lycéenne. Qui du général Charles de Gaulle, de son Premier ministre, Michel Debré, du ministre de l'Intérieur Roger Frey ou de Maurice Papon a ordonné la charge? La question est toujours posée. Organisée dans la précipitation, la manifestation a rassemblé 20.000 à 30.000 personnes, dans plusieurs cortèges. Certains ont fusionné sur le boulevard Voltaire en direction de la place de la Nation (sud-est de Paris), dont l'accès était protégé par des barrages. 19H30: deux orateurs tournent le dos aux forces de l'ordre. Hissés sur les épaules de manifestants, les mains en forme de porte-voix, ils annoncent la fin de la manifestation. Alors que la foule commençait à se disloquer, les policiers se ruèrent sur la foule, près de la station de métro Charonne. Entassés dans la descente d'escalier, empêchés de sortir par les forces de l'ordre qui matraquent et jettent des grilles d'aération du métro ou de protection des arbres, les manifestants sont écrasés. Neuf d'entre eux, dont trois femmes, vont trouver la mort. «J'affirme avoir vu des gardiens de la paix brandir ces grilles d'arbres au-dessus de leur tête et les projeter avec force dans la masse hurlante et grouillante, les lancer non pas à plat, mais verticalement», témoigne sur un site dédié Roland Florian, militant de gauche. «J'affirme avoir vu un de mes voisins recevoir une grille sur la tête. Cela a fait un bruit mat, puis la tête de l'homme s'est renversée sur le côté, ses yeux se sont révulsés et son corps s'est laissé aller au gré du mouvement, glissant», poursuit-il. «Des grilles d'arbres en fonte sont descellées et jetées par les flics sur cette multitude affolée», écrit de son côté la comédienne Marina Vlady. Pourquoi une telle brutalité contre des manifestants qui dénonçaient une organisation hostile au gouvernement? «Le pouvoir n'avait pas intérêt à ce que le Parti communiste fasse démonstration de sa force», analyse l'historien Olivier Le Cour Grandmaison. Ce sera pourtant fait le 13 février lorsque des centaines de milliers de personnes ont assisté aux obsèques. Autre effet, «inattendu mais pervers», selon l'historienne de l'immigration Peggy Derder. «Charonne a recouvert de silence» la sanglante répression d'une manifestation d'Algériens le 17 octobre 1961 à Paris, qui a fait autour de 200 morts. Certains corps, jetés dans la Seine, n'ont jamais été retrouvés. «On confond encore les deux évènements», observe l'historienne.