Le projet d'un accord agricole élargi entre l'Union européenne et le Maroc unit les deux principaux partis espagnols, qui y sont opposés, tout comme les agriculteurs français et espagnols, rassemblés mardi à Madrid dans un rare moment de solidarité. Dénonçant les «conséquences dramatiques pour les producteurs européens» de fruits et légumes, le député européen José Bové était venu défendre en Espagne son opposition à ce projet controversé, offrant des avantages au Maroc en matière d'exportations. Lors d'une conférence de presse se voulant démonstration d'unité, en rassemblant organisations agricoles françaises et espagnoles ainsi que des responsables politiques espagnols, il a appelé les eurodéputés «à voter contre» au Parlement européen lors du scrutin prévu le 15 ou 16 février. «Nous ferons tout ce que nous pourrons pour éviter que cet accord ne passe», a lancé Vicent Garcés, député européen du groupe socialiste. Dans un rare moment d'union, les deux principales forces politiques espagnoles, Parti populaire au pouvoir et Parti socialiste, se sont déjà prononcées contre l'accord, l'Espagne craignant d'être inondée de produits à bas prix et de perdre sa compétitivité sur le marché européen. «Nous voterons contre», a confirmé Pablo Zalba, député européen du Parti populaire. «Nos raisons ne sont pas toutes identiques à celles de M.Bové: nous sommes contre car nous soutenons notre secteur agricole, un secteur clé en Espagne». Les producteurs de fruits et légumes frais espagnols évaluent à environ deux milliards d'euros leur chiffre d'affaires annuel. Ils estiment que l'accord existant déjà avec le Maroc sur le commerce des produits agricoles entraîne des pertes de revenus évaluées à environ 240 millions d'euros, et que le nouvel accord, déjà adopté en commission, leur sera encore plus défavorable. «En Espagne, ce sont des centaines de milliers de familles qui sont aujourd'hui menacées», estime José Bové, qui a été chargé en septembre 2010 d'élaborer un rapport sur «l'extension» de l'accord agricole avec le Maroc. «Au coeur d'une crise économique sans précédent et avec un chômage galopant, cet accord semble absolument insensé pour l'Espagne», a complété Miguel Blanco Suana, coordinateur de l'organisation agricole espagnole COAG. Selon lui, «ce sont la moitié des emplois agricoles qui sont en danger ainsi qu'un tiers de la production agricole». «L'accord avec le Maroc revient à remplacer notre production, à la délocaliser», a-t-il conclu. Le pays affiche un taux de chômage record de 22,85%, qui dépasse même 30% en Andalousie, région parmi les plus menacées par l'accord. Ce dernier ne «bénéficie pas» non plus «à la majorité des petits et moyens producteurs marocains», a ajouté José Bové, assurant que «seules les grandes entreprises d'exportations du Maroc vont en bénéficier». M.Bové a en outre dénoncé les conditions de travail des salariés marocains, en «quasi esclavage puisqu'ils n'ont pas le droit de se syndiquer», assurant que le salaire journalier y était de cinq euros par jour. Il s'est également inquiété des «modes de production», consommant de plus grandes quantités d'eau au Maroc que dans l'UE, ainsi que de la «question juridique» de la région du Sahara occidental, occupée par le royaume chérifien, inclue dans le projet d'accord UE-Maroc. Le statut juridique de ce territoire disputé n'est en effet «pas clairement défini», ce qui a conduit les Etats-Unis à l'exclure d'un accord de libre échange signé avec le Maroc, explique José Bové. «Tant que la situation n'est pas réglée, on ne peut pas l'intégrer dans les accords» européens, a-t-il affirmé. Si l'accord agricole est finalement adopté à Strasbourg, ce dernier point pourrait donc pousser ses opposants à «saisir la cour européenne de justice pour le casser car il n'est pas fondé en droit», a précisé José Bové.