Eloigner les taliban d'Al Qaîda pour négocier la paix en Afghanistan: cet objectif de longue date des Occidentaux est peut-être en train de se réaliser avec le processus de Doha, au Qatar. Sale temps pour Al Qaîda en Afghanistan et au Pakistan: déjà largement affaibli par les missiles des drones américains, la mort d'Oussama Ben Laden et les difficultés financières, le réseau islamiste se sent en plus, depuis décembre, abandonné dans son jihad par ses camarades taliban afghans. Après plus de 10 ans d'un sanglant conflit sans perspective de victoire militaire de part et d'autre, les taliban se sont déclarés ouverts à des négociations de paix au Qatar avec les Américains, qui dirigent la coalition internationale et portent à bout de bras le fragile gouvernement de Kaboul. Une trahison aux yeux d'Al Qaîda, déterminée à poursuivre la lutte armée contre les Américains et leurs alliés. «Al Qaîda nous en veut. Ils nous disent: ´´Pourquoi est-ce que vous nous laissez tomber alors que nous, vous avons aidés lorsque vous en aviez besoin?», explique un responsable taliban afghan sous couvert de l'anonymat. Des tiraillements confirmés par une source proche d'Al Qaîda: «Ce qui se trame à Doha ne nous plaît pas», avoue-t-elle à propos de ce nouvel épisode dans les rapports complexes qu'entretiennent les deux factions. Lorsqu'ils étaient au pouvoir à Kaboul (1996-2001), les taliban avaient laissé s'installer chez eux ces frères d'armes étrangers menés par Oussama Ben Laden, au nom de l'hospitalité et des liens tissés par certains au combat contre l'envahisseur soviétique en Afghanistan dans les années 1980. Mais l'allié était devenu encombrant: en refusant de livrer Ben Laden aux Américains après les attentats du 11 septembre 2001, les taliban ont précipité l'invasion occidentale et la chute de leur régime. Nombre de taliban ont alors fui de l'autre côté de la frontière, dans les zones tribales du Pakistan, où ils ont retrouvé les combattants d'Al Qaîda. Nouveau rapprochement. Al Qaîda y renforce également ses liens avec les extrémistes pakistanais, dont le Mouvement des taliban du Pakistan (TTP), qui lui fait allégeance en 2007 et lance une sanglante guerre contre le gouvernement d'Islamabad, coupable de s'être allié aux Américains. En Afghanistan, le conflit s'enlise. L'annonce du retrait occidental en 2014 ouvre la porte à un éventuel retour au pouvoir des taliban, avec qui Washington cherche désormais à négocier directement, leur proposant la paix en échange notamment de l'abandon de tout lien avec Al Qaîda. En donnant son feu vert à des négociations avec les Etats-Unis, le mollah Omar, chef des taliban, se désolidarise de son allié historique, de toute façon largement affaibli dans la région. Selon nombre d'observateurs, les combattants étrangers d'Al Qaîda ne seraient plus que quelques centaines maximum au Pakistan, et quelques dizaines en Afghanistan. «Les taliban afghans estiment avoir fait assez pour Al Qaîda par le passé. Et la mort de Ben Laden a accéléré l'éloignement», note Rahimullah Yousufzaï, journaliste pakistanais spécialiste du conflit afghan. Le mollah Omar a demandé ces derniers mois aux taliban pakistanais de s'écarter de la ligne d'Al Qaîda et ne plus attaquer le Pakistan, considéré comme indispensable à tout processus de paix afghan. Le seul à ne pas obtempérer fut Hakimullah Mehsud. Le jeune et impétueux chef du TTP ne s'y plierait que si Washington cessait ses tirs de drones. D'autres factions du TTP se sont, elles, prononcées pour la paix. Hakimullah Mehsud fait partie de cette nouvelle génération de leaders taliban pakistanais, dont un nombre croissant issu notamment des mouvements ultraradicaux du Pendjab, volontiers sectaires et responsables de nombreux attentats sanglants, faisant craindre l'émergence d'une nouvelle version «pakistanisée» d'Al Qaîda.