La directrice de l'Institut Cervantes présentant nos deux écrivaines. Dans le cadre du Mois de la femme consacré par l'institut espagnol Cervantès, une rencontre littéraire a eu lieu jeudi dernier, laquelle a rassemblé deux écrivaines de talent... L'une Espagnole en la personne de Laura Freixas et l'autre Algérienne et qui n'est plus à présenter, Maïssa Bey. Le thème de la conférence portait sur l'écriture féminine «afin de connaître le monde dans lequel nous vivions, nous les femmes», dira la directrice de l'Institut Cervantès en préambule. Prenant la parole la première, Laura Freixas, qui confiera avoir commencé à écrire à l'âge de 30 ans, fera remarquer d'emblée son étonnement d'avoir vite bénéficié d'une bonne presse au départ mais qu'elle a eu des difficultés par la suite à continuer à publier son second roman. «J'ai vite compris que le parcours des écrivains n'était pas le même que le parcours des écrivaines. Les questions qu'on nous posaient n'étaient pas les mêmes. La presse insistait sur «femme écrivain tout en ayant tendance à grouper les femmes dans un «Nous». Aussi, nous apprend-on, les questions des journalistes étaient souvent dirigées et les perceptions sur les oeuvres des femmes exagérées. Laura Freixas fera remarquer aussi qu'il y a «une surestimation de la présence féminines dans mes livres. Le fait d'être femme marque. Cette perception de l'écriture est négative car elle va à l'encontre du caractère individuel et universel de la littérature». Autrement, explique-t-elle, ses personnage sont perçus non pas comme «humains» mais «féminins». «Je revendique notre universalité et individualité. Je refuse de parler d'écriture féminine même s'il y a des traits communs sur ce qu'écrivent les femmes, c'est pourquoi j'estime qu'on peut parler d'écriture de femme mais pas féminine», a-t-elle ajouté. Toutefois, en mettant un bémol, Laura Freixas notera que l'écriture des hommes a une certaine caractéristique claire qui se distingue au niveau des sujets et des personnages, rappelant les quelques personnages-clichés qui sont souvent attribués aux femmes dont «La belle fatale» et «L'amazone». Aussi, estimera-t-elle que 95% des personnages universels sont masculins, alors que les personnages féminins, très nombreux, ne sont définis que par leur relation avec les autres. «Les hommes écrivent sur les femmes, à l'image de ce qu'ils ont connu et vécu. Il y a toute une partie de notre expérience qui n'est pas écrite. Elle commence à être représentée depuis que les femmes écrivent et c'est beaucoup plus enrichissant». Pour Maïssa, qui reconnaîtra quelques similitudes avec les anecdotes telles que racontées par sa voisine espagnole, «l'écriture est une expérience personnelle» qui délivre, laquelle est «de l'ordre du dévoilement» car nos sociétés n'ont pas les mêmes appréhensions du monde, ajoutant ainsi que l'écriture consiste pour elle à aller «à contre silence». Chose difficile qu'elle a dû apprendre avec le temps, autrement d'«oser vouloir dire..». Pour Maïssa Bey, qui rappellera avoir eu pour modèle Assia Djebbar, les femmes en Algérie sont souvent acceptées comme un «personnage social» dont «l'accès à l'espace public (aussi celui de la parole, Ndlr) est limité» et ce, contrairement aux hommes dont l'occupation de cet espace est acquis naturellement. Des frontières limités selon elle par la société. Aussi, pour Maïssa Bey, les écrits de femmes sont souvent conçus en terme de confrontation en vue de se mesurer à l'écriture masculine, idée qu'elle rejette en bloc. Et de souligner sa démarche littéraire: «Je veux porter la parole des femmes oubliées, silencieuses, mais non être la porte-parole des femmes». Pour Laura Freixas il est vrai que tous les écrivains(nes) sont égaux en Espagne mais la réalité est tout autre. «Un bébé masculin s'il pleure, on dira qu'il est fâché, s'il est une, fille on dira qu'elle se sent seule, abandonnée. Quand une femme se met dans la peau d'un homme, on dira que ce n'est pas crédible, et quand c'est le contraire on ne dit rien, on ne commente pas!». Confiant ses inquiétudes et préoccupations quant à la situation de la femme en Algérie, Maïssa Bey relèvera à juste titre «comment certains hommes envisagent la femme dont le corps devient un enjeu» tout en invitant ces derniers à se mettre au moins une journée dans la peau de celle-ci pour constater les innombrables contraintes dont elle fait l'objet dans la rue, cet espace «public» qui est loin de préserver son intimité. Evoquant son cheminement littéraire, Maïssa Bey avouera avoir été hantée au début par «ces regards invisibles penchés sur sa feuille» jusqu'à s'en libérer complètement. «Cela a duré très longtemps, ce que j'écrivais ne correspondait pas à ce que je voulais. Je m'ennuyais en me relisant La période de maturation a pris six mois jusqu'au jour où surgit sous ma plume une phrase. Une alchimie s'était produite. Et je me suis dit que jamais je ne reproduirai en écriture les mêmes contraintes que je subissais dans la vie. Aujourd'hui il n'y a personne qui s'interpose entre la page et moi. Il y a une différence entre Maïssa Bey l'écrivaine et Maïssa dans la vie. J'avance totalement, librement dans mon écriture..». Et de dire enfin: «Chaque histoire surgit à un moment impérieux où elle doit surgir. Cela peut être d'une colère ou d'une révolte. Il n'y a jamais un «Que vais-je écrire?» mais toujours une motivation.» Pour sa part, Laura Freixas admettra que la littérature, de par la représentation qu'elle se fait de la femme, peut entraîner une forme d'asservissement de celle-ci tout comme elle peut conduire à sa libération.