L'armée est manifestement la seule institution de la République qui échappe au jeu de la récupération partisane. Les agissements politiciens de ces dernières semaines ont mis à rude épreuve l'administration et la justice, dont les fonctionnaires se sont vu les outils d'un pouvoir apparemment acculé à en user pour garder le contrôle d'un espace politique qui ne semble plus si prompt à le servir. Cependant, la mainmise de l'Exécutif sur les institutions de la République ne s'étend pas à l'ANP, qui demeure intraitable quant à ses missions constitutionnelles. A ce propos, de nombreux observateurs soutiennent que la déliquescence qui frappe actuellement des pans entiers de la République est justement consécutive au retrait de l'institution militaire des joutes politiciennes. En effet, la déclaration du général Lamari sur l'intention de l'armée de ne plus se mêler des affaires civiles, déclaration réitérée d'ailleurs à maintes reprises, a provoqué un petit séisme dans la sphère politique nationale qui, du jour au lendemain, s'est retrouvée comme orpheline. L'une des premières conséquences de cet état de fait est la dégradation du climat politique du seul fait de l'absence d'un régulateur puissant, jadis à l'origine de toutes les décisions importantes engageant l'avenir de la nation. La faiblesse des autres institutions de la République a fait que le pouvoir exécutif s'est engouffré dans le vide laissé par l'armée et a entrepris d'instrumentaliser la justice et l'administration à des fins purement politiciennes. Ces deux institutions, au même titre que toutes les autres, n'osaient pas transgresser la ligne rouge tracée par l'ANP. C'est ainsi que depuis l'indépendance du pays jusqu'à avril 1999, la famille nationaliste, notamment le FLN et le RND par la suite, s'alignait systématiquement derrière le candidat de l'armée aux différentes élections présidentielles. Un état de fait constaté lors de tous les suffrages vécus par l'Algérie indépendante. Le rôle de l'armée dans la gestion politique de la décennie 90 a été prépondérant et on a vu son empreinte lors de la reconstruction de l'édifice institutionnel de la nation, parti en fumée après l'arrêt du processus électoral en janvier 1992. A vouloir jouer à fond la carte démocratique face à une classe politique vraisemblablement incapable de se hisser à un niveau de gestion sereine des affaires de la nation avec pour seul arbitre le peuple, l'institution militaire a généré une situation sans précédent dans le pays. Il n'existe, en effet, pas un «candidat du consensus» et du coup c'est le détenteur des leviers de l'Etat qui dicte ses règles à l'ensemble de ses partenaires. On a même l'impression qu'il n'existe plus de «ligne rouge». Cependant, le rôle constitutionnel de l'armée ne se limite pas à la défense du territoire, elle est également garante du caractère républicain de l'Etat algérien. Les comportements de ces derniers jours de la part du pouvoir sont à la limite de la légalité républicaine, au sens que la loi censée être au-dessus de tous ne semble pas scrupuleusement respectée, et ce, de l'avis même de nombreux magistrats. Aussi, certains observateurs voient-ils, dans les récentes mises en garde à peine voilées de l'armée, une volonté de sa part d'amener le pouvoir exécutif à ne pas outrepasser ses prérogatives et à rester dans les limites de la légalité républicaine. En d'autres termes, même si elle a reculé, elle existe bel et bien.