Les victimes du régime de l'ancien président tchadien Hissène Habré, qui vit en exil au Sénégal, «méritent» que celui-ci soit jugé, a assuré hier la Belgique lors d'une audience devant la Cour internationale de justice (CIJ). «Ces victimes qui l'accusent de crimes méritent qu'il soit traduit en justice», a déclaré Paul Rietjens, directeur général des Affaires juridiques au ministère belge des Affaires étrangères, lors d'une audience au Palais de la Paix à La Haye, où siège la Cour. «Beaucoup d'entre elles ont été torturées, incroyablement torturées, a ajouté le représentant de la Belgique. Je vous épargnerai les détails insoutenables de ces tortures». Le chef de l'autorité centrale belge de coopération judiciaire, Gérard Dive, a été plus explicite. «On l'a laissé porter lui-même ses boyaux jusqu'à un village, où il a rendu l'âme», a-t-il lancé aux juges, citant une victime décrivant la manière dont son parent avait été tué par le régime Habré. Renversé par l'actuel président tchadien Idriss Deby Itno qui, après avoir été un de ses proches, était entré en rébellion, Hissène Habré vit en exil à Dakar depuis sa chute en 1990 après huit ans au pouvoir. Estimant que le refus de Dakar de poursuivre ou d'extrader Hissène Habré pour crimes contre l'humanité notamment «viole l'obligation générale de réprimer les crimes de droit international humanitaire», Bruxelles avait saisi la CIJ le 19 février 2009, lui demandant d'ordonner au Sénégal de le juger ou de l'extrader. Six audiences ont été programmées jusqu'au 21 mars, durant lesquelles les représentants de la Belgique, qui s'exprimaient hier, et du Sénégal, qui auront la parole à partir de jeudi, exposeront leurs arguments. Assurant que l'immunité de M.Habré en tant que chef d'Etat avait été levée par le Tchad en 1993, M.Dive a rappelé que Bruxelles avait émis en 2005 un mandat d'arrêt contre l'ex-président à la suite d'une plainte déposée en 2000 par un Belge d'origine tchadienne en vertu d'une loi belge dite de «compétence universelle» pour les crimes de droit international. Plusieurs demandes d'extradition ont été déposées en vain par Bruxelles pour faire venir en Belgique M.Habré, accusé de crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture notamment. «La Belgique est notre dernier espoir, le Sénégal ne jugera jamais Hissène Habré vu qu'il a acheté sa protection là-bas», a déclaré Souleymane Guengueng, une des victimes: «Qu'est-ce qu'on attend, qu'il n'y ait plus une seule victime vivante?» Dakar avait accepté en 2006 de juger M.Habré à la demande de l'Union africaine (UA) mais n'a jamais organisé de procès. «Le Sénégal agit au mieux dans un délai d'action qu'on peut considérer comme raisonnable», a assuré devant des journalistes Cheikh Tidiane Thiam, directeur général des Affaires juridiques au ministère sénégalais des Affaires étrangères, à l'issue de l'audience. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, avait à plusieurs reprises affirmé que le Sénégal n'avait pas refusé de juger Habré mais ne disposait pas d'une juridiction «ad hoc» et de fonds nécessaires. Or, un accord avait été trouvé en 2008 sur le financement du procès par la communauté internationale à hauteur de 8,6 millions d'euros, a assuré Eric David, professeur de droit à l'université libre de Bruxelles, lors de sa plaidoirie. «Malgré les gestes de soutien de l'Union européenne, de l'Union africaine et certains états, dont la Belgique et le Tchad, notamment sur le financement, le Sénégal n'a toujours pas rempli ses obligations», a déclaré M.David. Selon une commission d'enquête tchadienne, le régime d'Hissène Habré a fait plus de 40.000 morts parmi les opposants politiques et parmi certains groupes ethniques.