Cette révolutionnaire témoigne que la joie du cessez-le-feu n'a pas duré longtemps puisque le combat pour le pouvoir a failli faire basculer le pays dans une guerre civile. «L'émotion d'être libre tout d'un coup et de revenir chez soi est un moment très fort et indescriptible», relate la révolutionnaire et veuve, Fatouma Ouzegane. Après sept ans de lutte tragique et féroce, pour elle, il était difficile de croire que tout était enfin fini. «C'est une réalité, le cessez-le feu est enfin décrété», affirme-t-elle expliquant que tout en étant en plein combat, il n'était pas évident de parvenir à un cessez-le-feu en 1962 car les négociations pouvaient encore prendre plus de temps. «On a entendu la décision, mais on n'était pas encore sûr», affirme-t-elle. «C'est après avoir confirmé auprès de nos frères que nous avons réalisé, réellement, la fin de la guerre», confie-t-elle. Fatouma Ouzegane marque un moment de silence puis donne libre cours à ses mémoires pour parler de cette date. «C'était une journée mémorable, c'était un grand soulagement», rappelle-t-elle avec un soupir pour exprimer le poids de l'attente qui aviat trop duré. Fatouma affirme que l'euphorie de ce jour-là, est restée gravée dans les mémoires des Algériens. Ce 19 Mars 1962, elle l'a vécu autrement. Elle était loin de son pays, de sa famille et de ses enfants. «J'étais en Tunisie», nous dit-elle en remémorant les souvenirs. Recherchée par l'armée française, elle a dû quitter le pays en 1960 sur intervention de la Croix-Rouge internationale laissant ses enfants, sa famille, ses proches. Or, même loin du pays, la joie de ce jour était immense. Elle raconte que juste après l'annonce du cessez-le-feu, les réfugiés politiques et les militants de base n'avaient qu'un seul but, rentrer le plus vite possible au pays. «Nous sommes venus à bord du premier avion avec les mains vides», précise-t-elle en souriant. «Nous étions tellement pressés de rentrer, que nous avons abandonné nos maisons, nos bagages», confie-t-elle pour décrire la soif de retrouver enfin sa patrie libre. En regagnant le pays, Fatouma Ouzegane raconte les retrouvailles. «C'était quelque chose d'inimaginable», dit-elle en décryptant le sentiment de revoir ses enfants, ses proches. Or, malgré cette joie, la peur n'avait pas quitté les esprits. L'Organisation armée secrète semait la terreur à Alger. Notre révolutionnaire raconte: «Lorsqu'on est rentrés en ville on était escortés par les militaires et la tête cachée dans la voiture parce qu'on avait peur d'être identifiés par l'OAS.» En plus de l'OAS, cette veuve reconnaît que la guerre pour la prise du pouvoir avait déjà commencé. «On n'avait pas le temps d'apprécier cette joie du cessez-le-feu, puisque le combat pour le pouvoir a déjà commencé bien avant ce jour», témoigne-t-elle en affirmant que le pays a failli entrer dans une guerre civile. Les responsables de la Wilaya IV voulaient occuper la Zone d'Alger et imposer un couvre-feu et ceux de la Zone d'Alger étaient déjà sur le terrain. «Yacef Saâdi m'envoie Benasser pour me demander de faire sortir les femmes dans la rue parce que la Wilaya IV a décrété un couvre-feu et qu'ils commençaient à les encercler à la Casbah», se remémore-t-elle. Armée de courage, Fatouma est sortie le lendemain avec un groupe de femmes pour circuler dans les artères d'Alger. «On m'avait préparé une estrade pour manifester et, tout d'un coup, le commandant Berrouaguia arrive dans une jeep et monte sur l'estrade pour décréter le couvre-feu. J'ai sauté sur l'estrade pour crier non, il n'y a pas de couvre-feu c'est fini. Nous sommes indépendants et libres de sillonner la rue même durant la nuit», raconte-t-elle en affirmant que «c'est grâce aux femmes que le couvre-feu a été évité».