Le camp moderniste tunisien a estimé mardi que le parti islamiste Ennahda avait «enfin » « levé l'ambiguïté » en renonçant à l'inscription de la charia dans la Constitution, se félicitant que les « faucons » du parti aient été mis en minorité. En annonçant son soutien au maintien de l'article premier de la Constitution tunisienne de 1959, Ennahda, parti dominant à l'Assemblée constituante, a renoncé à l'inscription de la charia dans la future Constitution, se sont réjouis des responsables politiques issus du camp « moderniste ». « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain: sa religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la république », stipule cet article, suffisamment ambigu, selon les juristes, pour garantir à la fois le caractère séculier de l'Etat et son identité islamique. Un débat houleux était engagé depuis un mois à l'Assemblée nationale constituante entre les tenants --majoritairement islamistes-- de l'inscription de la charia dans la future constitution, et ceux qui y voyaient la porte ouverte à une théocratie. Le débat a largement débordé dans la rue, et les manifestations d'islamistes --dont la dernière, dimanche, a réuni plus de 8.000 personnes à Tunis-- et celles de « modernistes » se succèdent quasiment toutes les semaines. L'article premier « fait l'objet d'un consensus entre toutes les composantes de la société, préserve l'identité arabo-musulmane de la Tunisie et garantit aussi les principes d'un Etat civil et démocratique », a déclaré lundi le chef historique du mouvement Ennahda, Rached Ghannouchi. « On ne va pas avoir recours à la loi pour imposer la religion », a-t-il dit, soulignant que la charia restait encore une « notion floue pour l'opinion publique ». La veille, le comité constitutif d'Ennahda avait tranché en faveur du maintien de l'article premier par 52 voix contre 12. « C'est une levée de l'ambiguïté, un engagement politique de premier niveau qui va nous permettre d'avancer dans la rédaction de la constitution », a déclaré Meher Hanin, un responsable du Parti démocrate progressiste (PDP, opposition). la «Constitution doit être moderne » « Ennahda a fait des déclarations claires, le caractère civil de l'Etat est maintenu. Maintenant, il faudra honorer ces engagements », a-t-il ajouté. « Ennahda a opté pour l'union des Tunisiens autour de la constitution et a rejeté la division. Nous espérons que les actes iront dans le sens des déclarations », a déclaré de son côté Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, un des deux partis de gauche alliés aux islamistes. « Nous avons beaucoup insisté sur le fait que la Constitution doit être moderne et au rendez-vous de l'histoire. Il faut mettre les Tunisiens sur les rails du progrès et de la démocratie, et notre message a été bien entendu », s'et-il félicité. Pour sa part, Abdeljawed Jouneidi, responsable d'Ettajdid (gauche, opposition), a qualifié de « positives » les déclarations d'Ennahda, tout en insistant sur la nécessité de les « concrétiser ». « Ghannouchi a voulu apaiser l'opinion publique, et rappeler à l'ordre les extrémistes, mais il faut que les actes suivent et que soit mis fin au laxisme sur le terrain », a-t-il souligné, se référant aux incidents provoqués par les radicaux salafistes. Il a notamment cité des slogans anti-juifs criés lors de la manifestation de dimanche, appelant le gouvernement à « mettre fin à cette escalade et à punir ces appels à la haine ». Lors de sa conférence de presse, M. Ghannouchi a condamné ces « dérapages » et assuré qu'Ennahda défendait « toutes les minorités ». « Le droit de manifester est protégé mais si quelqu'un recourt à la violence verbale ou physique la loi doit être appliquée », a-t-il dit. Selon le politologue Slah Jourchi, Ennahda n'a pas voulu diviser les tunisiens dans cette période très délicate et a enfin pris une décision, celle de ne pas inscrire la charia dans la constitution. Pourtant, les faucons ont essayé par tous les moyens, y compris en mobilisant la rue pour montrer qu'il y avait une pression populaire.