Le mal-vivre, le chômage et l'absence de perspectives ont poussé bon nombre de jeunes Algériens à tenter la fuite vers ce qu'ils croient être l'Eldorado. Fuyant des conditions sociales difficiles, ils se tournent vers le nord, scrutant l'horizon à la recherche d'une proue qui se dégagerait de flots envahis d'écume. Babor l'Australie, El Hedda sont devenus la complainte d'une jeunesse qui ne croit plus au discours politique édulcoré qui promet un avenir serein dans Djazair El izza wel karama. La France, l'Espagne, l'Italie sont devenus les havres de paix tant désirés. Mais si, pour certains, le ténu fil d'espoir devient délivrance, pour d'autres, le rêve se brise aux comptoirs des services de la police des frontières des ports européens. A Oran, écrasés par une honte mal contenue, des jeunes débarquent des avions et des bateaux de retour au pays. Plusieurs n'arrivent pas à réaliser la mésaventure qu'ils viennent de vivre. Certains ne sont pas les clandestins que tentent de présenter à l'opinion publique la police et les médias ibériques. Ils exhibent leurs documents de séjour et de voyage comme des trophées pour montrer qu'ils sont les victimes d'un jeu sournois concocté dans les salons de Madrid, Barcelone et ailleurs. Saïd, un jeune de Ghazaouet, le teint blême, les cheveux ébouriffés, n'arrive pas à comprendre le drame qui l'a frappé. «Je vivais le plus régulièrement du monde dans un quartier de Naples. J'ai bénéficié d'une mesure de régularisation de 5000 sans-papiers prise par le gouvernement Berlusconi. J'avais refusé de quitter l'Italie tant que je n'avais pas régularisé mes papiers. Marié à une Italienne, j'ai réussi à me faire une petite situation qui m'a permis de profiter de la mesure de régularisation décidée cet été par le gouvernement de ce pays», dira-t-il. Fier de ses documents acquis après un séjour illégal de plusieurs années, il décide de revenir passer ses vacances au pays, dans sa famille. La semaine dernière il décide de rentrer en Italie pour reprendre ses activités. «A l'aller, j'avais décidé de faire le voyage par route. Le passage du tunnel du Mont-Blanc et la frontière italienne s'est fait sans encombres. En Espagne j'avais remarqué l'attitude désobligeante des douaniers espagnols qui avaient tout fait pour me faire croire que mes papiers n'étaient pas en règle. A la fin de mon séjour j'ai opté par un retour vers l'Italie via l'Espagne et c'est ce qui m'a causé ce refoulement vers l'Algérie. Arrivé au port d'Alicante, les policiers m'ont maintenu dans la zone de transit avant de m'expédier vers l'Algérie pour le motif de falsification de documents de séjour», dira-t-il avec une pointe de regret. La mésaventure de Saïd remet sur le tapis la validité des accords de transit des touristes dans l'espace Schengen. Nulle autorité (sauf les Italiens, bien sûr, Ndlr) ne peut décider de la validité des documents officiels remis par les autorités italiennes à Saïd. C'est du moins une logique que ne peuvent ignorer les douaniers espagnols. Malgré tout, ils n'ont pas pris de gants pour refouler vers l'Algérie ce compatriote qui exhibe comme une prise de guerre sa carte de séjour fraîchement décrochée. Un autre jeune originaire de Saïda régulièrement inscrit dans une école de peinture en bâtiment dans la banlieue parisienne et membre d'un groupe de danse hip-hop qui a fait plusieurs fois Bercy et le Zénith, rencontré à Oran, ne sait plus où donner de la tête. «J'avais mes papiers en règle mais en arrivant à Alicante je me suis retrouvé refoulé vers l'Algérie pour le fallacieux motif de documents de séjour falsifiés. J'eus beau leur montrer ma carte de séjour, ma carte d'étudiant et celle de la troupe de danse dans laquelle je suis inscrit, les policiers espagnols ne voulurent rien savoir», avouera-t-il. Ils sont des dizaines à débarquer, chaque semaine dans le port et l'aéroport d'Oran. Plusieurs ont fait les frais d'une véritable guerre menée contre les touristes algériens par les autorités de Madrid. Plusieurs régulièrement résidant dans certains pays européens se retrouvent contraints de faire toute une gymnastique, souvent sans résultat, pour prouver la validité de leurs documents de séjour. Il y a quelques mois, un accord a été conclu entre les autorités des deux pays. Il prévoyait une étroite collaboration dans la lutte contre le terrorisme et l'émigration clandestine. Seulement, les autorités de Madrid ont fait une interprétation sélective des clauses de cet accord au point où pour elles, le pas vers le délit de faciès est vite franchi pour justifier leur guerre contre l'émigration clandestine et le terrorisme. Les bateaux et les avions qui reviennent d'Espagne ramènent avec eux de jeunes compatriotes régulièrement installés en Europe depuis des années. Parfois, certains ont même des commerces et des affaires là-bas au nord, dans l'Eldorado qui continue d'attirer l'attention de millions de jeunes restés au pays. Mais en attendant de voir ces refoulés recouvrer leur dignité, espérons que les autorités de Madrid feront preuve de discernement pour éviter que des innocents ne se retrouvent devant la justice pour tentative d'émigration clandestine.