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L'homme qui ne savait rien
Publié dans L'Expression le 21 - 10 - 2003

Il faut être balaise pour assumer de telles responsabilités.
Après l'homme qui venait du froid, voici l'homme qui veut nous faire croire qu'il ne vient de nulle part, qu'il n'était pas là, qu'il était ailleurs, enfin qu'il ne s'en souvient pas. Et pourtant lorsqu'on jette un oeil sur son CV, on voit bien que l'homme a un parcours, un cursus, un passé bien rempli d'adjoint au responsable de la sécurité militaire et ensuite d'ambassadeur à Washington. Il faut être balaise pour assumer de telles responsabilités. On se contentera de ces deux jalons assez éloquents en eux-mêmes, mais son véritable morceau de bravoure restera dans les annales le poste qu'il occupe depuis maintenant quatre ans : celui de ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales. Là, il se surpasse en démontrant chaque jour qu'il peut encore faire mieux. On dit qu'il est l'homme le mieux informé mais toutes les fois qu'on lui pose une question il répond : «Je ne sais pas.» Ce n'est pas de la modestie ça? L'homme qui en sait le plus avoue qu'il en sait le moins. Cela nous rappelle la chanson de Jean Gabin, qui s'est vanté toute sa vie de tout savoir, mais qui finit par cette phrase pleine de bon sens: «Je sais que je ne sais rien!» Revenons à M.Zerhouni. A la suite de la mort du jeune Guermah Massinissa, il commence une petite bafouille dans le style: «Ce n'était pas un lycéen, mais un voyou» et quand on lui présente le bulletin scolaire de la malheureuse victime, M.le ministre ne trouve rien d'autre à dire que : «J'étais mal informé.» Venant de la part du premier flic du pays, ça ne prête pas seulement à sourire, ça laisse perplexe. Pour moins que ça, un ministre est débarqué de son poste sous d'autres cieux. Bon, bref, on est en Algérie! On a eu les inondations, le séisme, la peste bubonique, le botulisme, on peut bien accepter un ministre amnésique à qui il arrive, chaque fois qu'il est acculé, d'avoir des trous de mémoire. Ses conférences de presse avant, pendant et après les élections resteront aussi dans les annales comme des morceaux d'anthologie, avec son air de ne pas y penser tout en en pensant pas moins. C'est une attitude assez simplette du paysan qui, par méfiance et ruse, joue aux ignorants devant les gens de la ville, soit pour fourguer des patates soit pour se tirer d'un mauvais pas. Elle peut se comprendre dans ce cas. Mais dans le cas d'un ministre de la République, dont la mission est d'abord de faire du marketing politique pour son gouvernement, la bonne communication est un outil qu'il doit maîtriser. A moins que, comme on a eu à le constater à maintes reprises, M. Zerhouni préfère jouer de la matraque plutôt que du verbe pour convaincre ses concitoyens, et là on s'inscrit dans une autre logique. Celle de la répression tous azimuts. Par ailleurs, sa longévité à la tête du ministère de l'Intérieur peut aussi s'expliquer par son aptitude à se donner des airs bourrus et à ne pas faire de l'ombre à son chef, à savoir le président de la République. Faire écran, tout comme les associations écrans utilisées pour abriter les réunions illégales des anti-Benflis et qui servent de rideaux fumigènes. Alors que le fusible est destiné à sauter, - ce rôle est dévolu aux chefs de gouvernement qui sautent les uns après les autres, - l'écran est fait pour durer, afin d'asseoir la stabilité du locataire d'El Mouradia. Alors avec une fausse candeur, M. Zerhouni déclare qu'il n'était pas au courant, mais en son for intérieur, il jubile et rit sous cape. «Tu peux courir», dit-il à ses détracteurs.
La fausse candeur est peut-être aussi un nouvel art de communiquer.


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