La ville de Yemma Gouraya tarde à entrer dans le rythme des nuits de Ramadan. En ce début du mois sacré, les soirées ramadanesques semblent se suivre et se ressembler à Béjaïa. Que ce soit en ville ou à la campagne, elles ont le plus grand mal à se placer à la hauteur de l'ambiance d'antan où il faisait bon de sortir en famille ou entre amis pour une veillée des plus gaies. Est-ce le froid ou la cherté de la vie qui poussent le simple citoyen à se cloîtrer chez lui? Après la rupture du jeûne, le citoyen de Béjaïa n'a autre choix que de flâner en ville ou se rendre à un spectacle lorsque celui-ci est proposé à un prix abordable. Au point où en est la situation il vaut mieux partir seul et ne point se hasarder en famille non pas pour des raisons sécuritaires, même si celles-ci laissent à désirer, mais pour d'autres raisons liées à la mauvaise éducation dont souffre une jeunesse ayant perdu complètement ses repères. Ils sont rares les endroits où l'on peut comme autrefois passer d'agréables moments en famille. Il ne reste plus que les visites familiales pour soulager les amoureux de sorties nocturnes en ce mois sacré. Le froid hivernal, qui fait brusquement son apparition, s'y ajoute pour donner lieu à une morosité des plus déconcertantes à Béjaïa alors que jadis en de pareille période on se déplaçait du fin fond des compagnes pour une promenade nocturne, un gala artistique ou pour partager le «shour» entre amis et en famille. Finis donc tous ces temps de joie et de bonheur. La cherté de la vie et le stress, engendré par une crise qui ne veut plus se dénouer, font de la capitale de Hammadites un lieu désespérément vide. Le marasme semble toucher même les meilleurs moments de détente. En effet, même les soirées musicales organisées ici et là ne drainent plus les foules d'autrefois. Les organisateurs, qui font de cette activité un métier le temps d'un mois, misent sur un plateau de choix. Le rai, le kabyle et le chaâbi ont été au programme de ce week-end. Des vedettes de la région sont sollicitées pour tenter de réchauffer un tant soit peu l'ambiance terne de cette première semaine de ramadan. Dans les villages enfouis ou perchés sur les hauteurs des montagnes d'Akfadou et des Babors, les distractions restent très limitées. Là aussi la situation sécuritaire n'est franchement pas de nature à favoriser quoi que ce soit. Dans ces localités déshéritées, les cafés sont les endroits les plus fréquentés par les jeunes notamment. On y trouve comme loisirs les jeux dont le domino qui reste le plus prisé pour passer le temps durant cette période du mois sacré. Entre amis et copains rien ne vaut, donc, une partie de dominos au café du village dans une ambiance conviviale. Mais le loto demeure incontestablement le jeu qui attire le plus de monde. Aussi des garages et autres locaux sont transformés pour l'occasion en salles de tirage des pions qui s'emplissent dès la rupture de jeûne. Cette activité très lucrative se déroule dans pratiquement tous les villages de Kabylie et reste à l'origine de fortunes diverses mais aussi de faillites retentissantes. Jouer au loto est synonyme de gagner de l'argent sans le moindre effort en passant des moments agréables. Attendre les trois derniers chiffres pour crier «au pion!» puis pouvoir stopper carrément la partie et empocher la cagnotte est le rêve de ces milliers de jeunes et moins jeunes qui s'adonnent le long d'un mois à ce jeu du hasard. Assis sur un madrier de fortune et parfois à même le sol à attendre que la chance lui sourit pour rafler une mise variant entre 500 et 2000 DA pour 20 DA de mise tel est le scénario qui se répète chaque soir en Kabylie. Pour encourager les joueurs à venir en grand nombre et à veiller le plus tard possible, les tenanciers mettent en jeu gratuitement et en fin de soirée une parabole, un téléviseur, des chaînes stéréo et des fours micro-ondes. On a même pu assister les années passées à la mise en jeu de voitures en fin de soirée. C'est dire que tous les moyens sont bons pour ramener le plus de monde et gagner par voie de conséquence des fortunes en ce mois dit de «piété». Bref, l'ambiance de nuit à Béjaïa est loin, très loin, d'égaler celle d'autrefois qui était si égayée et animée et qui faisait la fierté de la capitale de la Soummam.