D'habitude, une fois le premier week-end atteint par le festival, les choses commencent à s'emballer, mais là... Alors que le film, «trop» bien cadré De rouille et d'or, de Jacques Audiard, sorti en même temps que Cannes, dans le reste de la France, fait un démarrage fulgurant en salles (240 000 spectateurs en deux jours), les pronostics sur la Croisette semblent accuser un léger retard dans l'allumage... D'habitude, une fois le premier week-end atteint par le festival, les choses commencent à s'emballer, mais là... Certes, cette histoire entre une dresseuse d'orques (Marion Cotillard) et un fighter man (Matthias Schoenaerts) à la dérive, traînant dans sa galère un enfant, avait de quoi scotcher plus d'un, surtout après l'accident de travail qui vit la dompteuse de cétacés se faire amputer des deux jambes suite à un coup de mâchoires de la bête, d'autant que dans ses finitions les plus infimes, Audiard a fait un travail d'orfèvre, mais apparemment c'est là que réside la faille qui fait que ce souci de faire le chef-d'oeuvre, a lesté sérieusement le film de l'auteur du Prophète (2010)... Alors on se tourne vers Les Chevaux de Dieu du Marocain Nabil Ayouch, inscrit dans la section voisine (Un Certain regard) et qui raconte l'histoire des enfants d'Ouled Moumen, le Bachdjarah marocain qui fait tache du côté de Casablanca... Pour raconter la dérive intégriste, jusqu'au terrorisme de ses «chiens perdus sans collier», Ayouch sort la grosse artillerie qu'il utilise avec tact et talent, des mouvements de grue à couper le souffle, un cadrage bien à propos, avec aux manettes, le Belge Hichem Alaouie (fils du Libanais Borhan Alaouie) et le résultat est plus que probant, surtout lorsque, traitant de la genèse de cette histoire qui défraya la chronique marocaine, il nous replonge dans l'univers de ces gamins de rue, comme il l'avait été si bien dépeint dans son premier film Ali Zaoua... Mais en faisant défiler le fil de la vie de ses ados vers la jeunesse et ses problèmes croissants, le cinéaste se contente d'assurer le cahier des charges, sans aucune fioriture respectant à l'extrême même, les normes du genre... Mais voilà, et même si l'on gardait toujours en tête le fait qu'à la base il y avait un roman, il n'en demeure pas moins qu'avec la décision, courageuse, de porter cela à l'écran devait suivre, à notre avis, une plus grande prospective afin de ne pas rester sur cette impression de «déjà-vu» ou «déjà-dit». Car même s'il était utile de rappeler que l'intégrisme «prospère» sur le terreau de la misère sociale, il aurait été sans doute nécessaire de lever, maintenant, un peu plus le voile sur les véritables tireurs de ficelles... Reste que Les Chevaux de Dieu a eu droit à une chaleureuse standing ovation qui fera oublier l'accueil glacial réservé à Après la bataille de Yousri Nasrallah, en compétition lui... De glace nous le restâmes, devant les images sulpiciennes, diraient certains, égrenées par l'Autrichien Michael Haneke, un redoutable manipulateur des sens, qui a déjà montré qu'il pouvait ne reculer devant rien pour arriver à ses fins... Il avait décroché, en 2009, une Palme d'or (sous la présidence de son actrice fétiche Isabelle Huppert) pour Ruban blanc - les mauvaises langues disaient qu'elle a été soufflée à Audiard et son Prophète -... Cette année, Haneke revient pour parler de la fin de vie en sollicitant le concours de deux monstres sacrés: Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant. Amour se voulait un film qui décrit la décroissance de l'être et pour ce faire, le cinéaste les enferme dans un huis clos aussi étouffant qu'inutile, comme si les difficultés d'ordre physique et mental que traversaient le couple ne suffisaient pas comme ça... Une fois son plan de travail établi, il ne restait plus au cinéaste que de complexifier inutilement les situations (bis repetita), croyant sans doute faire preuve de modestie et de retenue dans une circonspection qui n'est que de circonstance... Et le spectateur qui ne voit que les coutures de la trame risque de le découvrir à ses dépens, mais une fois la lumière revenue dans la salle, pas avant!... Or, il semble bien que cette façon de mener en bateau le public est en train de s'ériger en tendance et le Reality de Matteo Garrone qui escomptant une baisse de vigilance, grâce à son formidable Gommorra (2009), a débarqué avec une histoire inaboutie qui ne peut même pas être retournée, puisque son acteur principal croupit en prison pour faits criminels avérés. Heureusement que La Pirogue du Sénégalais Moussa Touré n'a pas pris l'eau dans les méandres de Un Certain regard, sinon c'eut été la Bérézina, comme on dit... De ce petit bijou africain, nous reparlerons bientôt avec un réel plaisir tant le travail de Touré nous a ravis.