«Nous privilégions l'intérêt national sur l'intérêt partisan» Dans cette interview, le président du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), Mohamed Saïd, revient sur les élections législatives du 10 mai dernier et parle du front du refus des résultats de ces échéances dont sa formation fait partie. L'Expression: Après avoir participé aux élections législatives du 10 mai dernier, votre parti évoque la possibilité de se retirer de la vie politique nationale. Quelles sont les motivations qui poussent à une telle extrémité? Mohamed Saïd: Oui, le PLJ, agréé le 26 février, a participé à titre expérimental, dans trente wilayas aux élections législatives; ses militants ont découvert pour la première fois la cruauté de la compétition mais sont sortis avec un capital expérience inespéré. J'avais précisé à plusieurs reprises, bien avant la campagne, que les résultats importent peu, car notre objectif est de construire le parti sur des bases saines et solides avec de vrais militants animés d'un esprit d'abnégation et non par la recherche d'avantages personnels. Par contre, les motivations qui poussent des cadres du PLJ à soulever la question de la poursuite ou non de l'activité partisane après la proclamation des résultats, sont de deux ordres: d'abord politique car «comment faire face à un pouvoir sourd et réfractaire au changement, qui dit une chose et fait son contraire?», et ensuite moral car «comment peut-on, en l'absence de toute aide de l'Etat, faire de la politique proprement sans moyens, et sans argent?» Ce dernier constat découle du déroulement de la campagne où l'argent a été largement employé au grand jour pour corrompre les citoyens ou extorquer leurs voix, sans que les pouvoirs publics réagissent contre de tels comportements immoraux et condamnables. Ce sont autant de questions vitales pour l'avenir de notre jeune formation politique, et c'est au conseil national, qui est l'instance suprême entre deux congrès, de trancher le premier juin prochain. Une chose est sûre: le PLJ ne sacrifiera pas ses valeurs et l'intérêt de l'Algérie primera sur toute considération partisane. Votre formation fait partie du Front politique pour la sauvegarde de la République créé ce 21 mai par 16 partis politiques. Comment analysez-vous cette démarche? C'est vrai, nous avons entamé un travail d'évaluation avec un certain nombre de partis mécontents des résultats des élections du 10 mai; dans toute démarche collective, chaque membre a ses calculs et les décisions sont prises par consensus. Pour le PLJ, l'objectif est de construire un noyau d'opposition crédible, capable de s'inscrire dans la durée pour représenter l'alternative au pouvoir et partant, faire de la démocratie un acquis irréversible; une opposition avec une vision claire et réaliste, privilégiant l'intérêt national sur l'intérêt partisan et ouvrant des perspectives prometteuses pour l'avenir. Même si le pouvoir rame à contre-courant de l'évolution de la société, nous ne devons pas le suivre dans sa logique pour ne pas en être prisonnier. Bref, la démarche des 15 partis est d'abord une réaction normale de la part des partis qui se sentent frustrés pour avoir rêvé d'un score élevé (ce n'est pas le cas du PLJ); elle est ensuite une réaction normale de la part de ceux qui récusent (et c'est le cas du PLJ) le score qui a propulsé au premier rang un parti politique paralysé par une direction divisée, des militants démobilisés et des permanences fermées! Personnellement je ne conteste pas les résultats obtenus par le PLJ parce qu'il n'avait pas d'observateurs dans la plupart des bureaux faute de moyens pour les payer, mais ce que je n'arrive pas à m'expliquer comme d'ailleurs beaucoup d'Algériens, c'est ce score surprenant à bien des égards du parti FLN, un score qui ne lui rend même pas service puisqu'il le met en position d'hégémonie qui empêche toute démarche consensuelle pour la détermination de l'avenir politique national. Quel avenir prévoyez-vous pour la scène politique à la lumière des nouvelles tendances? Je crois que le 10 mai aurait pu constituer un tournant salutaire dans notre vie politique nationale, mais malheureusement, nous sommes réduits à être moins optimistes pour l'avenir car le changement pacifique tant attendu par la société n'a pas eu lieu et le même paysage politique décrié reconduit. Nos dirigeants sont-ils insensibles au point de ne pas mesurer le besoin irrépressible de changement qui traverse la société dont l'évolution et l'amélioration des conditions socio-économiques ont créé de nouveaux besoins en matière de bonne gouvernance? Ceux qui sont responsables de cette impasse politique en assument les conséquences. Aucun Algérien n' a intérêt à fragiliser le front intérieur au moment où tout est en effervescence autour de nous, et au moment où nous avons plus que jamais besoin de mettre de côté nos considérations partisanes ou de pouvoir pour construire une cohésion nationale sans faille afin de faire face aux ambitions et dangers extérieurs. C'est pourquoi le PLJ ne s'associera à aucune démarche de nature à fragiliser le front intérieur, et d'ailleurs même s'il est signataire de la déclaration des 15 partis, il a néanmoins émis des réserves au moment de sa rédaction sur un nombre de points qui lui semblent manquer de réalisme ou sont sans vision lointaine.