S'il y a bien une librairie en Kabylie qui va entrer dans l'histoire, c'est bel et bien la librairie Cheikh Omar. Situé en plein coeur de la ville de Tizi Ouzou, ce lieu du savoir réussit des prouesses qui ne sont point des sinécures surtout pour ceux qui s'y sont aventurés. Depuis des années maintenant, la librairie a maintenu la tradition des ventes-dédicaces, en invitant régulièrement des écrivains de tous bords pour y dédicacer leurs ouvrages, rencontrer les lecteurs et aussi afin de débattre sur une multitude de sujets qui attisent la curiosité intellectuelle des férus de livres. Ces ventes-dédicaces se tiennent souvent une fois par semaine mais il arrive également qu'elles se déroulent deux fois en une semaine. C'est un défi que s'est lancé le gérant de la plus ancienne librairie de Tizi Ouzou, Omar Cheikh. Cette semaine par exemple, ce lieu du savoir a abrité pas moins de trois ventes-dédicaces intercalées de trois journées. Il y a eu d'abord l'ancien maquisard Hafid Yaha, qui est venu dédicacer ses Mémoires de guerre. Il a été suivi par Younès Adli jeudi dernier, qui a présenté son dernier livre Les efforts de préservation de la pensée kabyle aux XVIIIe et XIXe siècles. Hier, c'était au tour de l'ancien joueur de la Jeunesse sportive de Kabylie de présenter son livre sur l'histoire de la JSK qui vient de paraître aux Editions Zyrieb d'Alger. Bien avant ces trois auteurs, plusieurs autres écrivains ont occupé l'espace réservé aux ventes-dédicaces à la librairie Cheikh à l'instar de Kader Benamara, Abderrahmane Yefsah, Bahia Amellal, Mohamed Attaf, Youcef Merahi, Dilem, Salah Mekacher, Amar Azouaoui, Hamid Grine, Malika Hachid, Saïd Smaïl, Nadia Mohia, Nacer Belhadjoudja, et la liste est encore très longue. Bien qu'il s'agisse d'une activité non lucrative, Cheikh Omar a décidé de maintenir l'organisation des ventes-dédicaces contre vents et marrées car il a compris qu'il n'y a pas que l'argent qui compte dans la vie. Il a réussi, grâce à sa persévérance, à faire de sa librairie un coin fréquenté par les écrivains plus que la maison de la culture « Mouloud Mammeri » et plus que toute autre institution culturelle de la wilaya de Tizi Ouzou. Aujourd'hui la librairie Cheikh est connue, non seulement en Kabylie, mais aussi à Alger et dans d'autres wilayas du pays et même à l'étranger. D'ailleurs, l'écrivain Kader Benamara qui y a animé une vente-dédicace il y a deux semaines vit en Autriche depuis des décennies. La librairie Cheikh a ouvert ses portes en 1936. A l'époque, Tizi Ouzou n'était qu'un petit village. Cheikh était la première et seule librairie pendant des décennies. Et quand plusieurs librairies, à Tizi Ouzou, ou ailleurs ont troqué le livre contre la pizza et le sandwich, la librairie Cheikh a résisté aux temps de la vache maigre, elle a surmonté les écueils des moments difficiles et elle a gardé le livre dans son coeur, pour le meilleur et pour le pire. Dans les années 1990, la librairie Cheikh a, non seulement continué d'activer de façon ordinaire, mais elle a aussi poursuivi ses portes ouvertes aux écrivains qui osaient éditer à l'époque. La librairie Cheikh a donc résisté à toutes le tempêtes comme un écrivain persécuté mais talentueux. Aujourd'hui que Tizi Ouzou compte désormais plus d'une dizaine de librairies, on ne peut honnêtement que rendre hommage à ce temple des belles lettres et à cette fontaine d'où s'abreuvent des milliers de lecteurs chaque année pour ne pas devenir des tubes digestifs. Et pour rendre hommage aussi à l'auteur de cette expression, Tahar Djaout mais aussi à d'autres hommes de culture algérienne, la librairie Cheikh reçoit ses visiteurs avec les portraits du Rebelle Matoub Lounès, du sage Mouloud Mammeri, du probe Mouloud Feraoun et de tant d'autres références culturelles nés sur cette terre d'Algérie qui a besoin du livre, comme de l'oxygène car l'esprit a aussi ses poumons.