le paradoxe de l'humaine condition, s'explique, dit-on, par l'imagination délirante de la société; il y a donc là une leçon de morale éducative considérable par la métaphore du hibou, «bururu» en tamazight. On prononce «bourourou» et «vourourou», mais qu'est-ce à dire? Je vais essayer de le montrer par un exemple simple, modeste et néanmoins instructif. Il ne s'agit pas d'une douteuse culture d'importation à laquelle certains voudraient nous habituer. C'est une part de culture algérienne de filiation ancestrale, réélaborée, au besoin, dans les temps durs des années cinquante-soixante et fixée comme ici dans le genre théâtral radiophonique par des Algériens passionnés de leur pays et qui ont oeuvré pour l'élévation culturelle de leur société dont la caractéristique est de vouloir s'ouvrir au progrès sous toutes ses formes. Au cours du 8e Salon du livre et du Multimédia Amazighs de Bouïra (19-22 2012), organisé par la Direction de la promotion culturelle du Haut commissariat à l'Amazighité, M. Hamza Ould Mohand, ingénieur spécialisé en informatique, président de l'Association culturelle «Le Défi» de Birkhadem et responsable bénévole de la bibliothèque municipale de cette même ville, m'a procuré un moment de plaisir immense. Il m'a subrepticement attiré vers le Secrétariat du Salon, spécialement cette fois-là, pour me faire rencontrer un véritable personnage qui ne pouvait sortir que d'un conte merveilleux ou d'une légende fantastique de nos grand-mères, de ces histoires qui commençaient rituellement par cette formule magique: Machaho! Tellem chaho! Il était une fois... Coquetterie d'artiste Ce personnage est bien réel, pas du tout ainsi que mon imagination flouée me l'avait fait voir autrement qu'il est présentement: un visage plein, des lèvres plissées promptes au sourire, une moustache blanche, peu épaisse, strictement taillée, des yeux vifs derrière des verres larges et teintés. Je le vois, moyen de taille et d'une bonne corpulence, élégant dans un costume d'alpaga beige illuminé d'une cravate de couleur marron avec des dessins géométriques et nouée avec dextérité... Or, n'aurait-il pas mieux fallu le voir comme dans mon imagination en vêtement ample de théâtre, car sinon pourquoi porte-t-il à l'envers, profondément vissée sur la tête, une casquette bleue de l'ONDA et dont la visière lui couvre la nuque? Coquetterie d'artiste? Bien mise en tout cas, cette casquette de juste publicité culturelle! Je lui sers la main, spontanément; il préfère marquer la chaleureuse rencontre par une embrassade. D'une voix pleine de joie, il prononce mon nom; de la sienne amicale, Hamza confirme, le mien. Eh oui! c'est le vieil ami des auditeurs des émissions de la Chaîne II émettant en kabyle; c'est M.Saïd Zanoun, l'humble et célèbre auteur de plus de trois cents pièces de théâtre radiophonique dont la toute première a été écrite en 1955. C'est l'auteur de Bururu yehya-d (La Résurrection de Bururu) suivi de Tigwist n Bururu (Le Hululement de Bururu) (*), l'ouvrage que l'on m'a remis au stand du HCA avant de le rencontrer. J'exhibe son ouvrage. Nous nous asseyons l'un en face de l'autre, sans pour autant penser, ni lui ni moi, à un entretien sur son Bururu qui est écrit entièrement en tamazight. «Hélas, dis-je, je ne sais pas lire cette langue aux belles sonorités et qui pourtant nous appartient.» Aussitôt dit, aussitôt fait. «Bururu, m'apprend-il, c'est le hibou.» Me trouvant à l'aise, et, à mon tour, mettant en oeuvre mon imagination, je dis: «C'est Bouloulou, le croquemitaine, El Ghoûla, la goule, le vampire, la lamie qui sévissent dans les récits cauchemardesques pour les enfants.» Tout en hochant la tête pour exprimer son accord, il poursuit son explication en homme d'expérience qui en sait beaucoup sur la vie, sur de nombreux petits métiers qu'il a dû exercer malgré lui très jeune avant d'être bientôt aussi jeune dessinateur humoristique, illustrateur de contes, bédéiste, auteur de textes radiophoniques, surtout des émissions policières en kabyle. À l'époque, comme il a mis une forte dose d'angoisse dans ses émissions, ses admirateurs l'ont surnommé «le Hitchcock algérien». Saïd Zanoun est né à El Mouradia-Alger; il aura 78 ans en octobre prochain: «Au départ, m'explique-t-il encore, je me suis dit: les Anglais ont le loup-garou, les Irlandais, Dracula, les Français Quasimodo, ailleurs d'autres monstres, le Vampire, la momie égyptienne,... Alors j'ai pensé à créer un personnage inspiré de nos contes et légendes. Alors c'est Bururu, le Hibou. Mon personnage a un visage tellement effrayant que personne ne regarde sans frémir. Il a la forme d'une tête d'oiseau proche de celle du hibou. Mais je dois vous dire que, pour moi, c'est l'oiseau le plus beau du monde, car il a un beau plumage, même de jolis yeux et il est doux. On ne l'aime pas, parce que son lieu de prédilection c'est le cimetière. Il y trouve la paix et la tranquillité. Alors au cimetière vous ne verrez aucun homme venir s'il a quelque chose à se reprocher. Alors le hibou, vous vous en doutez, en profite pour s'y abriter sans être dérangé. J'ajoute que les cris nocturnes du hibou font peur aux êtres humains qui n'ont pas hésité à décider que ce sont des cris de mort. En vérité, le pauvre hibou s'adresse tendrement à sa bien-aimée, la chouette. Le hibou ne fait aucun mal à qui que ce soit, ni évidemment à la chouette, puisqu'elle répond à ses appels, ni aux êtres humains. J'ai appris que le hibou n'est pas un oiseau maléfique, il protège même les hommes contre toutes sortes de maladies comme la peste en détruisant les agents qui les transmettent!» Un drame social Voici le résumé en français tel qu'il est publié dans l'ouvrage Tigwist n Bururu (Le Hululement de Bururu) et sa suite Bururu yehya-d (La Résurrection de Bururu) de Saïd Zanoun: «Cette histoire sociale dramatique de science-fiction, traite de la confrontation permanente entre le mal et le bien, un combat qui a commencé depuis la nuit des temps et qui se terminera dans l'infini. Le riche et brave Salem, dont le visage ressemble étrangement à la face du hibou, est excommunié, rejeté par une société qui a l'esprit primitif et qui croit encore à la malédiction colportée par la légende du cri nocturne de la chouette, oiseau qu'on dit de mauvais augure. Son épouse est la seule personne qui l'a profondément aimé, au cours de la courte union de bonheur, elle l'a toujours soutenu en lui donnant le courage de supporter le sarcasme des autres. Hélas, cette continuelle lune de miel, va être interrompue, la merveilleuse épouse va mourir d'une grave et longue maladie, en laissant une jolie petite fille issue de leur grand amour. Des années passent. Sous l'impulsion de Samira, maintenant adolescente, adorant son père, ne voulant plus le voir continuer à vivre en solitaire, Salem se maria avec Meriem, femme d'une extraordinaire beauté, mais de petite vertu qu'il a tirée du ruisseau de la mauvaise vie. Meriem n'aimait pas Salem, elle n'a accepté de l'épouser que pour son argent, mais par la suite, elle ne pouvait plus supporter les quolibets de certaines personnes mal intentionnées, qui l'ont surnommée «la chouette», la femelle du «Hibou», faisant ainsi allusion à son époux qui n'a pas été bien conçu par la nature. Meriem, personne narcissique, amoureuse d'elle-même, n'a pas pu s'empêcher de crier la déception de son mariage à son époux. De dépit, consumé par le désespoir, Salem décide de se suicider dans un cimetière. À minuit, il commence à creuser sa tombe... Un deuxième personnage, souffrant du même rejet, mais cette fois-ci du côté psychologique fera son entrée dans cette macabre histoire, c'est le Professeur Sahari, éminent savant dans la recherche médicale. Le Professeur Sahari, ce grand chercheur qui s'est investi corps et âme dans la recherche du bien-être de l'Homme, de jalousie, est accusé par ses collègues de folie scientifique et les medias, d'ignorance de l'avant-garde du progrès. Salem et Sahari, ces deux hommes excommuniés par leurs semblables, décident alors de s'unir pour se venger. Cette force du mal va ensanglanter une population qui n'a pas compris qu'elle est en partie coupable d'avoir provoqué l'irréparable.» Tout en disant bonne lecture à ceux qui ont le bonheur de lire - dans la langue source - ces récits de Bururu, édifiants par l'enseignement à tirer, je souhaite que bientôt ces mêmes récits soient sans complexe publiés, ici chez nous, dans une version double en arabe et en français. Ce voeu est également valable pour d'autres oeuvres d'auteurs algériens, ceux-ci qui, en quelque lieu qu'ils vivent et en quelque lieu qu'ils résident, restent avec coeur et raison fidèlement algériens. Indignons-nous contre nous-mêmes qui péchons d'orgueil et de jalousie mal placés, secouons nos consciences, mesurons et sauvons nos mérites, faisons-nous enfin confiance mutuellement,... car «trente pièces d'argent» reçues en guise de gratification, hors du champ et du bon sens algériens, ne feront jamais d'un Algérien, un homme heureux, total et stable! (*) Bururu yehya-d suivi de Tigwist n Bururu de Saïd Zanoun, Asqamu Unnig n Timmuzya, Alger, 2009, 318 pages.