Fer de lance de l'insurrection de janvier 2011 contre Moubarak, le Mouvement du 6 avril «brave» les menaces du Conseil suprême des forces armées. «Nous camperons sur la place Tahrir jusqu'à la victoire. Et si Chafik est imposé, il connaîtra le même sort que Moubarak», répond le coordinateur du mouvement Ahmed Maher. -Quelle est votre réaction au communiqué du Conseil suprême des forces armées ? Cette déclaration est une menace contre la révolution. Le contenu du communiqué des militaires est d'une gravité inacceptable, il menace de manière claire les millions d'Egyptiens qui descendent dans les rues du pays pour réaliser les objectifs de la révolution. Alors que le pays traverse une crise politique profonde due à l'entêtement des militaires à vouloir se maintenir au pouvoir contre la volonté du peuple et contre la légitimité démocratique, le CSFA veut imposer le fait accompli avec fermeté. Il veut imposer le général Ahmed Chafik contre la volonté des urnes. Les militaires sont en train de commettre les mêmes erreurs que Moubarak. En s'adressant aux Egyptiens d'un ton menaçant et arrogant, les militaires s'isolent de plus en plus. La situation exige des militaires une attitude plus responsable, à la hauteur de la gravité de la crise. Ils doivent se rendre à l'évidence que rien ne fera abdiquer les Egyptiens. Ils devront passer sur nos corps s'ils veulent demeurer au pouvoir. Ils vont contre le sens de l'histoire. Nous leur disons que nous camperons sur la place Tahrir jusqu'à la proclamation des résultats définitifs de l'élection présidentielle et la victoire. Pour dire non à la déclaration constitutionnelle complémentaire, pour dire non au coup d'Etat militaire. -Dans le cas où la commission électorale annonce la victoire du candidat Chafik, que feriez-vous ? Il est clair que l'armée veut imposer son candidat contre celui qui est sorti des urnes (Mohamed Morsy). Dans ce cas, Ahmed Chafik connaîtra le même sort que son «idole» Moubarak. Nous sommes des centaines de milliers, aujourd'hui, sur toutes les places Tahrir à travers le pays, d'Alexandrie à Assouan, à dire non au pouvoir de l'armée. Si l'armée veut proclamer Chafik vainqueur de la présidentielle, elle assumera seule les conséquences d'une telle aventure. Et si elle compte sur l'essoufflement du mouvement révolutionnaire, elle se trompe. Les Egyptiens sont plus que jamais déterminés. Ils ne sont pas prêts à rentrer chez eux tant que le système Moubarak est en place. -Mais il semble que les forces politiques sont éparpillées et divisées, d'où la persistance des militaires à agir en puissants… Effectivement, les divisions ont commencé avec le processus électoral. Depuis la révision de la Constitution en mars 2011, puis les législatives et ensuite l'élection présidentielle. Les partis politiques traditionnels ont accepté le jeu institutionnel dans un contexte de révolution, alors que le système Moubarak était toujours en place. Beaucoup d'erreurs tactiques ont conduit à l'éclatement des alliances nées de la révolution. Je pense que maintenant, tout le monde est conscient de la menace qui pèse sur la révolution et de la nécessité de construire un front national contre la dictature des militaires. Et c'est en voie de réalisation. Aujourd'hui (hier), des réunions marathon se sont tenues avec les différents mouvements politiques et forces révolutionnaires. Mohamed Morsy s'est réuni avec les principales forces politiques et révolutionnaires, il a pris contact avec Mohamed El Baradei, Abou El Futouh et beaucoup d'autres. Il s'est engagé à nommer, dès sa prise de fonction, un gouvernement d'union nationale et à gouverner avec les autres mouvements politiques. -Vous avez apporté votre soutien au candidat Mohamed Morsy au second tour, alors que d'autres forces de la révolution ne l'ont pas fait au prétexte qu'il n'est pas porteur de «projet démocratique, de liberté». Pensez-vous que Morsy soit une menace pour la démocratie ? Je dois rappeler que nous ne sommes les seuls à avoir soutenu Morsy au second tour, il y avait même le parti laïc de Aymen Nour. Il faut dire que nous ne sommes pas dans une situation politique normale. Notre soutien n'était pas une adhésion au projet politique de Morsy, loin de là. L'urgence était de barrer la route au candidat du régime Moubarak. Une victoire de Chafik sonnerait la fin du Printemps arabe. Il est évident que le projet des Frères musulmans, donc de Morsy, n'est pas celui que nous souhaitons pour l'Egypte, mais nous devons bâtir un nouveau contrat social dans lequel tous les Egyptiens se reconnaîtront. Nous devons également convaincre les Frères musulmans de la nécessité d'une gouvernance la plus large possible et du respect de toutes les libertés. Ceux qui veulent faire peur aux Egyptiens en agitant la menace des Frères musulmans font fausse route. La dictature renforce les islamistes ; la démocratie les tue. Ils sont passés avec 18 millions de voix aux législatives, ils n'ont obtenu que 5 millions au premier tour de la présidentielle.