être attentif à soi-même, est-ce un péché d'orgueil s'il s'agit d'évoquer le chemin d'une destinée particulière? Dans son ouvrage Mémoires d'un universitaire écrivain: Vers une culture ouverte (*), Chikh Bouamrane, un parfait bilingue, initie un beau débat de communication. Tout homme d'expérience, de formation universitaire et qui a pratiqué dans sa jeunesse le scoutisme musulman et, à l'âge adulte, a cultivé les lettres et fréquenté la politique nationale, ne pouvait déjà - au cours de son intervention au fameux 1er Colloque culturel national au club des Pins, en 1968 - que se dire «philosophe sur les bords». Plus tard, dans ses différentes fonctions, il ne pouvait être que pleinement instituteur; c'est-à-dire homme de culture et de sagesse, éduquant et instruisant en puisant dans les grandes sources du savoir. Sans doute, la personnalité de Chikh Bouamrane est-elle là, entière, globalement intéressante pour laisser voir au-delà de ses intentions. Raconter son expérience de vie dont on veut d'abord profiter soi-même pour se bien connaître et se reconnaître, faire le point sérieusement par une approche vers laquelle nous pousse tout notre être livré, consentant, apaisé, - pourquoi pas? Rendre publique sa personnalité, cela est sans doute «orgueil», un péché primordial, et puis, plus que cet angoissant «qu'en-dira-t-on» qui est déjà trop, se dresse toujours le supplice de cette démoralisante question «à quoi bon?» Qu'il faut donc du courage pour exposer, en toute humilité et avec une sobre résignation, une part de soi, que l'on croit la meilleure de sa vie, à la jeune génération qui en appelle à l'Aîné! Elle cherche ses repères confusément, désespérément, - et où irait-elle les chercher si elle ne trouve chez elle, près d'elle, autour d'elle, une image, cent images, mille images, mille millions d'images, des reflets d'histoire, de culture et de civilisation pour édifier, à son tour, son avenir, encore plus digne, encore plus beau, encore plus sûr, que celui auquel les générations précédentes, en des temps pourtant très durs, s'étaient consacrées avec le sens du devoir et du sacrifice? Pour une compréhension plus complète de l'idéal humain algérien, les jeunes ont besoin de modèles concrets à imiter puis à dépasser; sur ce long chemin de la quête d'eux-mêmes, ils se formeront, étape après étape, une pleine personnalité. Ce peuple jeune, comme tous les peuples, a lui aussi hâte de dénombrer ses sages, ses héros et ses saints. Les psychologues savent parfaitement cet âge qui exige, souvent avec violence, sa formation au statut d'adulte, son intégration et sa place dans la société humaine adulte. Mais comment? Dans quelles conditions? Pourquoi? Autant de questions qui trouveront des propositions de réponses dans certains ouvrages de nos auteurs, parmi lesquels je cite: Mémoires d'un universitaire écrivain. Vers une culture ouverte de Chikh Bouamrane. Celui-ci, professeur émérite de l'université d'Alger (Philosophie), se distingue par son ouverture au progrès par l'étude et l'analyse de la personnalité humaine à travers ses illustres représentants algériens anciens et modernes, et particulièrement ceux en qui la haute pensée islamique a levé une conscience souveraine de la liberté humaine. Aussi, Chikh Bouamrane déclare-t-il d'emblée se ranger dans la catégorie de ceux qui pensent que «décrire son propre passé et son expérience, en s'en tenant aux événements et aux faits les plus significatifs, permet de faire partager ses goûts, ses émotions et ses difficultés par les proches et les lecteurs». Il estime que «cette analyse peut être le fruit d'une expérience particulière et une contribution à la vie sociale. [...] Témoin ou acteur, on donne une présentation pertinente de l'une et de l'autre.» Il a également raison de faire cette observation: «On sait combien les souvenirs ou les mémoires d'hommes ou de femmes illustres ont suscité de vocations durables et inspiré des actes décisifs dans l'histoire du monde ou celle d'un pays, qu'il s'agisse de gens de lettres, de personnages historiques ou politiques, d'éducateurs, d'artistes, de syndicalistes ou de sportifs.» De fait, ce dont rêvent ou devraient rêver nos jeunes, mais renforcé par un apprentissage de l'amour de l'Aîné, relève de la responsabilité de l'école, relève aussi du devoir de «ceux qui ont contribué, d'une manière ou d'une autre, à l'histoire de la nation.» Il s'agit de donner, de redonner confiance aux jeunes par le bon exemple porteur de certitude et garant du succès. Des exemples de réussites existent, mais ils restent sporadiques et méconnus, parfois ignorés, souvent oubliés, pire encore dé-na-tu-rés!... Alors sa pierre apportée à l'édifice commun, Chikh Bouamrane, à l'âge de quatre-vingt-huit ans, la présente en ami, ainsi: «J'évoquerai les premières études, l'entourage, le métier de pédagogue et de chef de scout, les travaux du chercheur, l'écrivain et le conférencier, le syndicaliste universitaire, un bref passage à la tête d'un ministère... Au fur et à mesure que le récit avance, je m'efforce de fournir [...] une esquisse aussi exacte que possible d'une vie entièrement vouée à l'éducation et à la culture.» La promesse de Chikh Bouamrane est tenue. Le lecteur appréciera, après avoir lu des pages aux intentions sereines et franches, comblées de générosité et, parfois, tranchées d'une juste et bénéfique causticité, car aussitôt, ici ou là, la joie est toujours de retour, celle d'un Maître moderne à l'esprit tout tendu vers une culture ouverte. Chikh Bouamrane dit sa vie: la formation et les débuts d'une carrière; avant l'indépendance, après l'indépendance; les missions d'étude, les congrès, les études universitaires; la présidence de l'Union des écrivains algériens, à la suite de l'écrivain Malek Haddad. (Par parenthèse, notre cher et regretté Malek Haddad, l'incompris total de certains, de ceux qui, pour nous faire accroire qu'ils le connaissaient jusque dans le détail de ses sentiments, n'hésitent pas à le dépouiller, ailleurs, de ses sèves de bonté et d'honneur). Poursuivant le récit de son parcours, Chikh Bouamrane fait l'esquisse de tout ce qui lui tient à coeur: la Fondation Emir Abd-el-Kader; la présidence du Haut Conseil islamique; diverses et riches activités (communiqués, articles, allocutions, séminaires, conférences,...) et des annexes pour fixer les idées développées et pour illustrer ses convictions. Il me plaît de rapporter, extraite de la conclusion de Chikh Bouamrane à son ouvrage, cette magnifique évocation qui conforte la pensée juste de tous les amoureux du livre et de la lecture: «Dans mes études, la lecture personnelle a occupé une place importante en dehors des leçons et des cours, à raison d'au moins un livre par semaine. Je me suis intéressé aux grands auteurs dans les deux langues (arabe et français), en prenant des notes. Nourri ainsi par la lecture, mon goût de l'écriture s'est développé peu à peu: articles, conférences, brochures, livres enfin. Ma bibliothèque privée s'est constituée progressivement et m'a permis de me documenter sur les sujets les plus divers: biographies de grands hommes comme le Prophète et les héros de l'Islâm, les philosophes anciens et modernes, les hommes politiques qui ont marqué leur époque comme Ibn Rochd, Ibn Khaldoûn, Descartes, jusqu'à l'Emir Abd-el-Kader, Gandhi, Baden-Powell, Ibn Bâdis, Abd-el-Nacer, Jacques Maritain, Nelson Mandela...» Mémoires d'un universitaire écrivain / Vers une culture ouverte de Chikh Bouamrane est un ouvrage franc sur des émotions personnelles hautement éducatives. On y découvre un témoignage auquel nous succombons aisément dans la mesure où la sincérité de l'auteur invite, à chaque page, au raisonnement. Ah! si tous les Algériens, en ce cinquantième anniversaire de l'Indépendance, voulaient, pouvaient,... lire leur histoire, leur culture, leur civilisation et se les assimiler, qu'ils seraient beaux, car authentiques, paisibles et libres! (*) Mémoires d'un universitaire écrivain, vers une culture ouverte de Chikh Bouamrane Thala Editions, Alger, 2012, 373 pages.