Le président tunisien Moncef Marzouki a défendu son alliance avec le parti islamiste Ennahda, dans un discours prononcé mercredi à Paris devant l'Assemblée nationale française, un honneur que n'avait reçu aucun dirigeant étranger depuis 2006. Le premier président de la Tunisie démocratique achèvera jeudi cette visite en France, notamment destinée à lever les malentendus créés par le soutien de Paris à l'ancien régime du président Zine el Abidine Ben Ali. M. Marzouki a longuement justifié l'alliance de gouvernement que son parti de centre-gauche a formée avec le parti islamiste Ennahda. «On me pose souvent la question: est ce que la Tunisie est tombée dans l'escarcelle de l'islamisme? La réponse est non, la Tunisie est tombée dans l'escarcelle de la démocratie », a dit M. Marzouki, sous les applaudissements des députés français, nettement plus nourris à gauche qu'à droite. Il a également assuré que ses amis lui posaient «sans cesse » une «délicate question: +l'alliance de démocrates laïcs avec des islamistes relève-t-elle de l'opportunisme politique ou de la naïveté? ». «La réponse est simple: ni de l'un ni de l'autre, mais d'une longue histoire commune, d'un pari sur l'avenir », a-t-il lancé. «De la même façon qu'il existe en Occident des chrétiens-démocrates, il y a et il y aura dans le monde arabe des partis islamo-démocrates dont Ennahda n'est que le prototype tunisien », a-t-il assuré. «Ennahda a adhéré à la démocratie, certains disent par tactique, d'autres comme moi-même, disent par conviction. (...) L'avenir dira qui a eu raison, dans sa méfiance ou dans sa confiance », a-t-il lancé, assurant que «c'est la force de la démocratie d'avoir pu apprivoiser et intégrer des forces qui lui étaient au départ hostiles ». Alors qu'une partie de l'opposition de droite avait boudé sa venue, M. Marzouki a rappelé «qu'une fraction de la France officielle a soutenu la dictature qui nous a opprimés », une référence au régime de Ben Ali, qui régna sans partage pendant 23 ans (1987-2011). «Mais la part majeure, essentielle, de la France (...) nous a soutenus autant qu'elle le pouvait et accompagnés aussi loin que possible jusqu'à la chute du tyran », a-t-il dit, exprimant «gratitude et affection » à cette France-là. Lui-même entretient une relation particulière avec la France où il a passé le tiers de sa vie, pendant ses études ainsi qu'en exil. En l'accueillant, le président de l'Assemblée Claude Bartolone a déclaré que «l'islam et la démocratie peuvent et doivent se conjuguer ». Il a toutefois prévenu que la France resterait «vigilante » sur le respect « des principes démocratiques, de la liberté d'expression et des droits des femmes ». Rappelant être le deuxième président de l'Assemblée nationale française, après le gaulliste Philippe Seguin, à être originaire de Tunis, Claude Bartolone a célébré «l'amour réciproque » entre les «deux pays ». Les députés n'avaient accueilli aucun autre responsable étranger depuis José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, en 2006. La réception du président tunisien a cependant provoqué un certain malaise dans les rangs du parti conservateur d'opposition UMP. L'ancien secrétaire d'Etat Pierre Lellouche avait prévenu qu'il n'y assisterait pas, jugeant que le processus démocratique en cours en Tunisie n'était «pas encore stabilisé ». A gauche, le député Jean-Luc Laurent a quant à lui affirmé que «la quasi-absence de la droite » à la réception marquait «une continuité avec les errements des années Ben Ali puis de la révolution de Jasmin ». Dans la matinée de mercredi, le président tunisien avait été reçu par le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, lui aussi natif de Tunisie.