«Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?» Lamartine La tempête qui se déchaîne sur le front des marchés tranche violemment avec la léthargie qui s'est emparée de l'activité politique et diplomatique du pays. En cette période de canicule et de méditation sur les effets de la privation sur le porte-monnaie, il paraît judicieux de se poser des questions sur le comportement et les états d'âme du citoyen qui galère entre canicule et flambée des prix. Alors, il n'y a rien de mieux que de se poser la question si ce pauvre citoyen assailli par tous les maux de la terre est superstitieux ou non. Il n'y a qu'à voir les salles d'attente des charlatans qui pullulent dans ce pays pour s'en faire une idée. Et c'est parce que ce citoyen est victime de problèmes qui sont considérés simples sous d'autres cieux et qui paraissent insolubles dans le Polygone étoilé, qu'il devient par la force des choses sujet à superstition. La superstition est définie généralement comme une croyance aux forces occultes et surnaturelles. Elle est souvent opposée à la foi orthodoxe qui n'admet aucun intermédiaire entre Dieu et le croyant et elle est souvent le produit d'une absence de pensée rationnelle dans certaines sociétés, tout comme elle peut être la survivance des pratiques animistes des sociétés primitives. La rencontre fortuite de deux phénomènes peut engendrer une telle croyance qui va s'enraciner dans les esprits de gens inquiets de leur avenir. Aucun milieu n'y échappe. Le chiffre 13 est craint par certains parce que le dernier repas (la Cène) auquel aurait participé le Christ aurait compté 13 convives: Jésus et ses 12 apôtres. Une compagnie aérienne italienne est allée jusqu'à supprimer le siège numéro 13 sur ses appareils. Le risque de recevoir un outil sur la tête interdit aux gens de passer sous une échelle et a créé un interdit lié à ce risque. Pendant longtemps, dans le milieu théâtral européen, la couleur verte était synonyme de malheur, parce que le grand Molière était mort vêtu d'un costume de cette teinte lors de la représentation du «Malade imaginaire»: en vérité, la teinte verte, en ce temps-là, était fabriquée à base d'arsenic qui était un poison mortel. On peut citer une infinité d'objets ou de gestes ayant une signification positive ou négative: toucher du bois, une patte de lapin, un trèfle à quatre feuilles, un fer à cheval, croiser un chat noir, renverser du sel... La religion chrétienne confère, tout comme les religions animistes africaines, des pouvoirs spéciaux à certains objets: on ne compte pas le nombre de reliques de saints, des ossements, des fioles de sang, de suaires ou de croix qui auraient appartenu à de prestigieux personnages de la saga religieuse et qui donnent lieu à des pèlerinages de nombreux croyants qui prêtent à ces mystérieux objets des pouvoirs surnaturels. Il n'y a qu'un pas à franchir pour pénétrer en terre de sorcellerie. Dans le Maghreb musulman subsistent encore ces croyances liées à des périodes du christianisme ou de l'animisme: on ne fait pas un pas dans la campagne sans rencontrer un vénérable arbre solitaire avec des rubans accrochés à ses rameaux comme des ex-voto. Le caroubier ou l'olivier centenaire font l'objet du respect des populations crédules tout comme ces énormes rochers qui défient les lois de la pesanteur. Que dire alors de certains marabouts dont la vie exemplaire suscite la vénération des foules qui s'y rencontrent à l'occasion d'une fête ou d'un pèlerinage. Des légendes courent autour de ces personnages mystiques desquels on attend souvent un coup de pouce à des problèmes prosaïques: on croit toujours qu'il est plus facile d'accéder à la volonté d'un saint homme que d'un directeur de banque ou d'un préfet... Des offrandes laissées dans les sanctuaires accentuent le rôle social de ces marabouts. Si certains de ces espaces protégés donnent lieu à des pèlerinages, d'autres par contre font fuir les gens crédules: le célèbre poème de Victor Hugo, «La légende de la nonne» illustre bien l'origine des interdits qu'on tente d'inculquer aux jeunes gens dont l'esprit est en pleine construction.