«Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s´attache à notre âme et la force d´aimer?» (A. de Lamartine) C´est peut-être la religion qui est à la source de cette croyance: les sorciers accrochaient des objets: griffes, plumes, pattes d´animaux, censés avoir des pouvoirs spéciaux qui protégeraient l´enfant de la maladie, la femme enceinte du mauvais oeil ou le guerrier des traits ennemis. Il y en a même qui, paraît-il, attirent le gibier ou favorisent la pêche. Les sorciers avaient ainsi un filon d´or qu´ils exploitaient à merveille. Cette croyance, qui faisait penser que certains objets avaient des pouvoirs surnaturels, était passée dans les religions monothéistes sous forme de symboles ou de reliques ayant quelque chose à voir avec un saint personnage ou un événement important...On ne compte plus le nombre de reliques entreposées dans les chapelles chrétiennes, des bouts de bois censés appartenir à la croix, des suaires, des ossements de saints, des statuettes qui pleurent ou saignent à époque fixe: tous ces objets sont vénérés par une foule de croyants qui font des pélerinages pour recevoir la grâce qu´ils transmettaient. Cependant si les reliques appartiennent au domaine de la foi, il y a d´autres objets liés à l´histoire ou au passé d´hommes illustres et qui cultivent le souvenir de périodes fastes ou alimentent des nostalgies. Comme il a été précédemment évoqué ici, les pillages perpétrés à l´occasion des guerres passées ont provoqué un transfert considérable d´objets d´art ou de culte. Des symboles entiers, témoins de civilisations ont été déplacés de leur lieu d´origine pour garnir les palais des vainqueurs, les musées des métropoles ou les collections privées: statues, momies, bas-reliefs, pierres sculptées, icônes, tableaux de peinture, bronzes et marbres constituent le butin précieux amassé par les Occidentaux à l´occasion des dernières guerres. Sans compter les oeuvres détruites ou irrémédiablement abîmées par des mains incultes ou fanatiques (les Bouddhas d´Afghanistan ou le Sphinx d´Egypte). Les guerres de libération nationale et l´instauration d´un nouveau droit international portant sur le patrimoine universel, ont amené certains pays, et non des moindres, à demander le rapatriement d´objets archéologiques pris par la puissance occupante d´un moment. Le British Muséum deviendrait un ensemble de salles vides s´il devait rapatrier tous les bas-reliefs volés à la Grèce, à la Perse ou à l´Egypte. Et tous ces pays réclament à cor et à cri le rapatriement de ce qu´ils considèrent comme relevant de leur patrimoine national: ce qui leur confère un caractère de sacralité. Cependant, il faut se poser la question de savoir pourquoi les divers régimes qui ont conduit les destinées de ces pays n´ont pas été intéressés par le passé glorieux des civilisations passées. Pourquoi a-t-il fallu attendre que des érudits germaniques, des spécialistes français ou des affairistes anglais viennent exhumer des millénaires de poussières, les précieuses reliques d´un passé révolu? Les récentes ventes aux enchères d´anciens objets acquis d´une manière ou d´une autre, remettent la question sur le tapis: pourquoi le pouvoir chinois qui a placé 100 milliards de dollars dans le Trésor US n´en dépense pas une infime partie pour récupérer les deux bronzes faisant partie de la collection Berger-St-Laurent. Ces objets, qui ont été enlevés d´un temple du palais impérial où seuls quelques privilégiés avaient l´occasion de les voir, ont été l´oeuvre d´artistes ou artisans qui avaient peut-être le même statut que ces milliers d´esclaves qui ont construit la Grande Muraille ou les Pyramides d´Egypte. L´Inde, puissance nucléaire, n´a-t-elle pas les moyens financiers pour rapatrier à peu de frais les inestimables reliques du Mahatma Gandhi: des banales et modestes sandales, des bésicles et une montre à gousset sont-elles le seul héritage que ce grand petit homme a laissé à ses compatriotes? Comment se fait-il que de tels objets aient pu filer à l´étranger? Le matérialisme bas est à mettre au compte de tous ceux qui ont privilégié les dividendes immédiats sur les certitudes qui durent. Car rien n´est éternel, sauf peut-être la «baraka» prêtée à ces objets.